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1965-08-04, Henri Corbin à Denis de Rougemont

Cher vieux Denis,

Merci de tout. Merci d’abord de ton magnifique bouquin sur la Suisse. Je comprends quel gros et minutieux travail cela a dû être, mais la réussite me semble parfaite. Est-ce parce que, de page en page, tu emportes mon adhésion complète, que ce livre m’apparaît comme peut-être ton triomphe ? En tout cas, je me sens aussi près de ta pensée qu’on peut l’être. Tu as des formules à mettre dans une anthologie : S’unir pour rester différents ! Non pas pour constituer une force collective, mais pour garantir l’autonomie de chacun ! C’est tellement magnifique que l’on n’ose espérer que tu sois entendu. As-tu eu déjà des échos précis ? En tout cas, nous avons déjà fait une propagande considérable pour ce livre ; aucun ami qui vient ici n’y échappe.

J’aimerais beaucoup te dire tout cela et beaucoup plus [p. 2] de vive voix. Malheureusement nous allons encore passer très au sud de Genève. Et pour le retour je ne sais rien encore. Nous partons après-demain ; nous serons mardi à Casa Gabriella, Moscia-Ascona. Eranos promet encore beaucoup cette année, mais la perte de notre merveilleux [Illisible] nous laisse inconsolables.

Merci de la magnifique carte de Corfou. Oui, il faudrait aller là-bas quelques jours. Mais il me faut d’abord en finir avec ma chère vieille Perse, et ce ne sera pas encore cette année.

Où en est ta santé ? Tu sembles tout à fait remis. On se remet complètement en effet d’un infarctus, si l’on se tient bien, et c’est ce que tu fais, dit Nanik. Alors, ad multos annos !

Avez-vous tout à fait renoncé à venir à Paris ? Comme toujours nous serons à Téhéran à peu près entre le 15 septembre et le 15 décembre. Après les livres et les cours à Téhéran, je reviens reprendre les livres et les cours à Paris. Et la vie passe comme un songe, et je suis de plus en plus swedenborgien.

Mes hommages amicaux à Nanik, avec toutes les amitiés de Stella. Crois toujours, cher vieux Denis, en mon affectueuse et fidèle amitié.

Henry Corbin

 

Vu, il y a un mois, le cher Jack Barrett de passage à Paris. Mais que penses-tu de cette triste abdication de la Bollingen Foundation, toi qui fus à l’origine ? Eliade et moi-même nous en sommes consternés.