[p. 1]

1934-03-01, Denis de Rougemont à Henry Corbin

Mon vieux, j’aurais voulu t’écrire plus vite, après notre rapidissime entrevue à la gare, mais j’ai eu un travail énorme à faire d’urgence pour L’Ordre nouveau (un exposé complet de la doctrine et un petit « dictionnaire philosophique ») si bien que je n’ai rien pu écrire d’autre depuis 10 jours.

J’ai reçu le n° 5, qui me paraît assez bon dans l’ensemble, assez « centré » et propre à nous attirer les sympathies de beaucoup de « braves gens » que nos attaques et plaisanteries avaient un peu rebroussés. Le prochain numéro sera très différent et répondra mieux aux désirs d’un autre public, plus littéraire, et plus philosophique, — mais c’est de toi que cela dépend. Il faut que ce n° 6 paraisse avant un mois, c’est-à-dire avant les conférences de Barth. [p. 2] Tu sais que cela dépend uniquement de toi, les ¾ du numéro étant déjà écrits depuis longtemps déjà. Fais-nous quelque chose sur ce qui te plaira, si possible sur un sujet cadrant avec l’ensemble (« De la charité cosmique ») mais cela n’est pas du tout indispensable. 4 à 6 pages. Je prépare des traductions de Donne, de Paracelse et de Rilke, de quoi compléter le numéro au « prorata » des pages que tu laisseras libres. Peux-tu m’envoyer ton article avant 8 jours ? Songe à ce que ce serait que de sortir le dernier numéro de la première série juste au moment où H. N. sera mis en vedette par la présence de Barth.

J’espère vivement qu’à ce moment-là, les 5 de H. N. seront à Paris, et que nous pourrons avoir une bonne rencontre, — la première — [p. 3] où nous verrions ce que nous avons à faire maintenant, et comment nous devons orienter la seconde série. Je suis plus que jamais persuadé de sa nécessité et de son utilité.

Lauga m’écrit que Constant avait omis de mettre le n° 5 sous bandes. C’est idiot, et j’en suis bien fâché pour Stella, qui aura eu un gros surcoût de travail. J’y veillerai la prochaine fois. Ci-joint un nouvel abonnement. Avez-vous envoyé le numéro aux collaborateurs c’est-à-dire Pury, Jézéquel et Schmidt, qui ne sont pas « abonnés » ? On l’oublie facilement. Il faut aussi déposer 6 numéros chez Van den Berg, où ils se vendent bien.

On disait à Genève que Gilson est en train de devenir [p. 4] calviniste. A-t-il au moins reçu H. N. ? Ce serait une assez bonne recrue. Peux-tu aussi l’envoyer au professeur Theophil Spoerri, Université de Zurich. C’est un ami intime de Kassner, un barthien et un physiognomoniste distingué, que j’ai eu un grand plaisir à rencontrer à Genève.

As-tu des nouvelles de Schmidt ? Maury m’a dit qu’il avait obtenu une bourse et qu’il passerait l’année prochaine à Paris. Ce serait une bonne chose pour nous. Si tu le vois un de ces jours, dis-lui que je vais lui écrire. Ses « thèses sur l’amour du prochain » n’ont pas pu passer dans le numéro 5, faute de place d’abord, et aussi parce qu’elles répétaient exactement l’article de Roland. (Un chef-d’œuvre, je trouve.)

Il faut que je termine, il est tard, et je dois me lever à 5 heures demain pour aller en Vendée parler de Lénine (cours ruraux).

Toutes mes amitiés à Stella et toi. J’ai hâte qu’on se revoie un peu tranquillement.

Ton fidèle
D. de Rgt