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1974-04-15, Denis de Rougemont à Henry Corbin

Cher Henry,

Quelle joie de revoir ton écriture et de vous savoir de retour. Il faut absolument que vous fassiez le même-pas-détour de Genève cette année, car vous nous trouverez dans une nouvelle maison, un peu du genre Ferney pour l’architecture et l’époque, mais sans les grands arbres, hélas, à St Genis-Pouilly ; quelques kilomètres plus loin que Ferney. Nous pensons déménager en juillet. Après 27 ans de Ferney, c’est dur, et ç’aura été ruineux d’acheter la vieille ferme et de la reconstruire. Mais peut-être rajeunissant ? On verra.

Je n’ai pas encore pu lire le Traité des compagnons-chevaliers mais l’ai emmené ici, où je m’installe pour six semaines de travail solitaire — il faut absolument que je finisse un livre qui a déjà un an de retard. Merci, je suis sûr que cette lecture va m’aider pour ce que j’écris, qui est tout à fait différent, mais justement… Et j’aurai [p. 2] beaucoup à parler de communauté.

J’ai pu me faire remplacer pour mes cours du semestre d’été, il était temps que je change de rythme : je crois que je n’ai jamais autant travaillé que depuis un an.

Jamais reçu les 2 derniers vol. de ton monumental opus gallimardien. Ils m’ont oublié, ou bien un amateur éclairé, au passage…

J’attends les épreuves iraniennes. Oui, bien sûr, je corrigerai ces deux mots dont je n’eusse jamais imaginé qu’ils pouvaient te poser le moindre problème. Mais c’est dommage, on ne verra plus le périple, qui était un peu mon sujet. (Je rétablirai le texte dans mes œuvres complètes.)

Quant à mon occidentalisme, comment en eussè-je douté, moi qui ai si souvent cité en exemple du non-impérialisme culturel des Européens ton œuvre en Iran et celle de Lévi-Strauss au Brésil, toutes les deux (et c’est bien leur seul point commun à mes yeux, rassure-toi !) aidant des cultures originales à se mieux redécouvrir, à ne point nous copier. Alors entendu, en juin à Paris. Nanik et moi vous embrassons tous les deux.

Denis de Rgt