[p. 278]

La Suisse, dépositaire d’une formule politique

La question de l’avenir de la Suisse se ramène donc à la question de l’avenir du fédéralisme.

Cette formule, lentement élaborée par les hommes qui ont fait ce pays, sera-t-elle applicable dans le monde de demain, et d’abord dans l’Europe unie ?

Tel est le point de perspective de tout mon livre.

Je suis remonté aux origines de notre histoire, et j’ai suivi son labyrinthe, de la liberté des communes et des allégeances impériales jusqu’à cette renaissance des régions dans l’allégeance européenne, qui peut marquer la fin du siècle. Et ce faisant j’ai passé par-dessous la période des nationalismes et des « terribles simplificateurs ». Le labyrinthe était un raccourci ! Voilà qui me paraît typique de ce pays : pendant des siècles, on croit s’en tenir à l’ancien, on accepte de retarder sur l’évolution des voisins, mesurée en étapes dynastiques, révolutions, conquêtes et « malheurs exemplaires » ; mais on ne cesse d’innover sans le savoir, et soudain l’on débouche en plein avenir, parce qu’on n’a pas lâché le fil du réel.

J’ai décrit des institutions qui me sont apparues à la fois anachroniques et futuristes, tout encombrées de survivances illogiques, mais peut-être les mieux adaptées, ou adaptables, à la société en devenir et à ses réseaux de forces infiniment complexes.

Enfin, je me suis interrogé sur la fonction de nos élites créatrices et sur la morale civique dans un peuple à tel point composite qu’il se distingue par là même de tout autre, mais préfigure peut-être le régime qui sera celui des peuples de ce continent, quand leurs nations ne seront plus que des cantons, toutes distances et frontières abolies, ou peu s’en faut.

Et maintenant, croix de vallées et croix de fleuves, pays crucial, dépositaire d’une formule décisive pour l’avenir européen, la Suisse va-t-elle garder son secret pour elle seule ?