Notre Master en Sociologie

Quel type d'ordre social est maintenu avec la prohibition ?

17 mars 2016



Image_article3.jpg
Tous droits réservés : Tim Kelly, http://kellycartoonpage.blogspot.ch/

 

Quel type d'ordre social est maintenu avec la prohibition ?

Cette troisième séance du cycle de conférences « Les drogues dans tous leurs états » a porté sur le thème de la prohibition des drogues comme maintien de l’ordre social. Le professeur Michel Kokoreff, sociologue à l’Université Paris 8 et co-auteur de l’ouvrage intitulé Refaire la cité, paru en 2013, a assuré la première partie du débat.

M. Kokoreff a commencé par décliner les différents faits constatés ces dernières années. L’ONU, tout d’abord, ayant remarqué l’inefficacité de sa guerre à la drogue, réoriente à partir de 2008 sa lutte sur les trafics organisés et redirige ses efforts notamment vers la prévention, la santé publique et l’éducation. Ensuite, la déclaration de Vienne du 17 novembre 2010, lors de la conférence internationale sur le sida, présente les limites de la loi sur la prohibition des drogues et insiste sur la nécessité de la repenser. Trois ans plus tard, le 21 décembre 2013, l’Uruguay est le premier pays au monde à autoriser la vente et la production d’herbe. Peu de temps après, le 1er janvier 2014, on assiste à la légalisation du Marijuana au Colorado, et par la suite dans les États de Washington, d’Oregon et de l’Alaska, pour des enjeux qui sont plus économiques que de santé publique. Puis, seize États autorisent l’usage du cannabis thérapeutique aux États-Unis. Au Canada également, le premier ministre Justin Trudeau manifeste l’intention d’encadrer et de légaliser le commerce du cannabis.

Ces actes posent le débat autour de la régulation du marché de la drogue et soulèvent par conséquent la question de l’inefficacité de la prohibition. Sur ce dernier point, M. Kokoreff fait en particulier allusion au cas de la France qui, bien que l’un des pays les plus répressifs en Europe, compte un des plus grands taux de consommateurs. M. Kokoreff s’interroge donc sur les raisons du maintien de cette prohibition en France et, pour ce faire, s’appuie sur l’enquête de Didier Fassin sur une brigade anti-criminalité. Selon cette enquête, la brigade, n’arrivant pas à être efficace dans son travail, compenserait son manque de résultats par le maintien d’un ordre social inégalitaire, c'est-à-dire en exerçant une forte pression sur les immigrés et les jeunes des cités. M. Kokorref conclut donc que la prohibition en France vise avant tout à maintenir l’ordre social.

La discussion a été assurée par la professeure Barbara Broers, médecin aux Hôpitaux Universitaires de Genève, au département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences. Elle fait également partie de la commission fédérale pour les questions liées à l’addiction. La professeure a souligné la complexité des processus par lesquels la prohibition participe à maintenir l’ordre social. Certains traitements, par exemple, sont partie prenante de ces processus. C’est le cas notamment des centres de traitement obligatoire, qui sont des camps de sevrage sans accompagnement. Une alternative à considérer serait le traitement basé sur la substitution, qui, bien que scientifiquement validé, reste difficilement accessible voire interdit dans certains pays, car comparé à des « camisoles chimiques ». De plus, Barbara Broers a rappelé le paradoxe existant entre la volonté d’un abandon de la prohibition et ce que Carl Hart dénomme « The addiction industry ». En effet, pour ce dernier, une des barrières de la prohibition des drogues consiste dans le fait qu’un marché s’est créé autour, avec de grands intérêts financiers impliquant des acteurs aussi divers que les banques, la police, les industries et les pharmacies.

Cette conférence et les discussions qui en ont suivies ont soulevé de nombreuses questions. Quelles seraient les implications d’une légalisation des drogues ? Une prohibition moindre peut-elle faciliter l’accès aux traitements pour les usagers de drogues ? La prohibition cache t-elle une stigmatisation sociale des immigrés et des jeunes des cités ? En tout cas, le débat sur la légalisation des drogues est complexe, car entremêlant de nombreux intérêts.

Par Ndéye Ndao (étudiante du Master en sociologie, Unige)

 



  Blog du forum de recherche sociologique