Journal n°158

L’intelligence artificielle se focalise sur les morsures de serpents

image-4.jpgLe 4 mars s’est terminé un défi singulier de sciences citoyennes sur le site citizenscience.ch: plus de 1000 participants, essentiellement des herpétologues professionnels et amateurs, ont, durant quelques jours, identifié des milliers de serpents représentés sur des clichés de qualité très variable. Ce qui ressemble à première vue à un jeu est en réalité une étape importante dans le développement d’une application mobile, basée sur l’intelligence artificielle (IA) et destinée à lutter contre un problème de santé publique majeur et négligé: les morsures de serpents venimeux.
«Les morsures de serpents sont la cause de plus de 100 000 morts et de 400 000 victimes de séquelles (nécroses, défiguration, traumatismes...) dans le monde chaque année, expliquent Isabelle Bolon et Rafael Ruiz de Castañeda, chercheurs à l’Institut de santé globale (Faculté de médecine) et coordinateurs du projet. Elles touchent essentiellement les communautés pauvres et rurales dans les pays en développement. Ces régions, qui comptent le plus grand nombre d’espèces de serpents, payent le plus lourd tribut à ce fléau en raison d’un accès limité à une expertise médicale et herpétologique ainsi qu’aux doses de sérums antivenimeux.»

Cette application permettra, à partir d’une photo prise par la victime, un proche ou un médecin, d’identifier rapidement le serpent incriminé

Destinée aux professionnels de la santé mais accessible aussi à toute personne munie d’un téléphone portable, cette application permettra, à partir d’une photo prise par la victime, un proche ou un médecin, d’identifier rapidement le serpent incriminé. Cette connaissance est essentielle dans la mesure où les sérums antivenimeux sont souvent spécifiques d’un nombre limité d’espèces.

L’étape essentielle dans la conception d’une telle application est la mise au point d’un algorithme IA performant. Grâce à une collaboration avec Marcel Salathé, professeur à l’EPFL, un défi est actuellement ouvert sur la plateforme aicrowd.com auprès de la communauté des informaticiens pour le développement d’une solution.

«Pour que l’IA qui se trouve à la base de ces applications soit performante, il faut absolument la nourrir avec des images, précise Andrew Durso, herpétologue à l’Institut de santé globale. Pour les serpents, nous en avons déjà récolté plus de 250 000 et nous espérons atteindre un demi-million à la fin de l’année. Il faut dire qu’il existe plus de 3700 espèces de serpents dont au moins 650 sont venimeuses.»

Le projet prévoit la participation d’un réseau d’herpétologues professionnels et amateurs capables de réagir rapidement si nécessaire

Cependant, l’IA, même convenablement alimentée, peut commettre des erreurs de jugement. C’est pourquoi le projet prévoit la participation d’un réseau d’herpétologues professionnels et amateurs capables de réagir rapidement si nécessaire. Ce sont justement la mobilisation et les capacités d’un tel réseau qui viennent d’être testées sur la plateforme de sciences citoyennes, développée conjointement par Rosy Mondardini, directrice du Citizen Science Center (une structure conjointe de l’Université et de l’École polytechnique fédérale de Zurich), et par le Citizen Cyberlab de l’UNIGE.
Cette application, qui bénéficie actuellement d’un financement de la Fondation privée des HUG et du soutien de Médecins sans frontières, doit encore passer par de nombreux mois de développement et de tests avant de pouvoir être mise à la disposition du public.

La Faculté de médecine est active depuis au moins une décennie dans le domaine des morsures de serpents, avec notamment les travaux de François Chappuis, professeur au Département de santé et médecine communautaire. Il dirige actuellement une enquête épidémiologique majeure dans ce domaine au Népal et au Cameroun.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), quant à elle, a inscrit en juin 2017 les morsures de serpents sur sa liste des maladies tropicales négligées. Une feuille de route ambitieuse, qui vise, entre autres, à réduire de moitié la mortalité et les séquelles dues à ce fléau d’ici à 2030, devrait d’ailleurs être officiellement lancée par l’OMS en mai prochain lors de la prochaine Assemblée mondiale de la santé. À cette occasion, un événement sera organisé à l’Institut de santé globale, basé au Campus Biotech. —