Journal n°164 du 10 au 24 octobre 2019

L’innovation démocratique comme remède au populisme

image-1.jpgLe modèle nous arrive tout droit des États-Unis et vient remodeler le système démocratique suisse. C’est la commune de Sion qui servira de laboratoire au projet demoscan, une expérience politique inédite menée par l’équipe de Nenad Stojanović, professeur au Département de science politique et relations internationales (SPERI/Faculté des sciences de la société). Inspirée par le modèle de l’Oregon, un État qui pratique la démocratie délibérative depuis une dizaine d’années déjà, elle sera expérimentée pour la toute première fois en Suisse à l’occasion des votations fédérales du 9 février 2020.

Intelligence collective

La recette est simple: un panel de citoyens tirés au sort est invité à rédiger un rapport neutre, après quelques jours de délibération, sur un objet soumis au vote du peuple. L’information est ensuite envoyée à la population, en même temps que le matériel de vote et la brochure d’information de la Chancellerie fédérale. Cette déclaration citoyenne prend la forme d’un document très simple, mettant en évidence les principaux éléments de l’objet soumis au vote et présentant une sélection d’arguments des partisans et des opposants, «ceux dont le panel a estimé qu’ils étaient les meilleurs pour se prononcer de la manière la plus adéquate», précise Victor Sanchez-Mazas, coordinateur du projet demoscan et assistant au SPERI. Pour mener à bien leur mission, les panels sont accompagnés tout au long du processus par des modérateurs.

Sélection aléatoire

Si c’est la Ville de Sion qui a été choisie comme commune pilote, c’est qu’elle présente une structure démographique comparable à celle de la Suisse, en termes de répartition par âge et de taux d’étrangers. Sa taille est par ailleurs suffisamment importante pour être représentative, sans toutefois être excessive ce qui simplifie la logistique de l’expérience. Sion, capitale d’un canton bilingue, présente par ailleurs un relatif équilibre politique entre la gauche et la droite. Dernier point, les autorités ont démontré un réel intérêt pour la démocratie participative, comme la population.
Plus concrètement, 2000 personnes, tirées au sort parmi les quelque 20 000 Sédunois possédant le droit de vote, ont reçu une invitation à participer au projet. 205 personnes ont répondu positivement. Une sélection aléatoire de deux panels distincts de 20 participants chacun a été ensuite réalisée grâce à un algorithme permettant de conserver la représentativité de la population (âge, genre, niveau d’éducation). Pour renforcer la dimension aléatoire de la démarche, un dernier tirage au sort a été réalisé lors d’une séance publique pour sélectionner l’un des deux panels constitués. «Toute la démarche est anonyme, précise Victor Sanchez-Mazas. Excepté les individus concernés et l’équipe scientifique, personne ne sait qui a été choisi, afin de préserver les participants de toute pression externe».

Trouver un consensus

A Sion, le panel aura quatre jours – le temps de deux week-ends de novembre – pour élaborer sa déclaration citoyenne. Après un premier moment d’échanges entre les participants, des experts neutres viendront présenter les dimensions factuelles de l’objet soumis à la votation. Dans un second temps, partisans et opposants présenteront leurs arguments. Puis les discussions s’enchaîneront au sein de petits groupes d’abord, puis en séance plénière afin de rédiger la déclaration. «Les participants devront se mettre d’accord pour pouvoir rédiger une information neutre, observe Victor Sanchez-Mazas. On compte beaucoup sur l’intelligence collective et la délibération pour faire émerger les informations les plus pertinentes». Au moment de la parution de cet article, l’objet de votation sélectionné pour l’expérience n’est pas connu. Son choix sera effectué en fonction de différents critères. «Il ne doit être ni trop technique, ni trop évident afin qu’il puisse y avoir un réel débat», assure Victor Sanchez-Mazas.
En Oregon, les expériences menées ont montré que 43% des votants avaient pris en considération le rapport citoyen pour leur vote. «Le point de vue des citoyens paraît plus fiable que celui des élites politiques qui ont bien souvent des intérêts particuliers, estime Victor Sanchez-Mazas. La démocratie se doit d’évoluer en fonction des changements sociétaux. L’approche délibérative est une réponse au populisme, au désintérêt croissant des citoyens pour la chose politique et à la méfiance envers les élites.»

Le pouvoir aux citoyens

Après la votation, un sondage sera effectué pour étudier l’impact de la déclaration citoyenne. L’essai sera ensuite mené dans une deuxième commune, ce qui permettra de comparer les résultats dans des contextes différents. Quant à l’avenir, il s’agira de voir si les autorités voudront tenter plus qu’une expérience universitaire. «Changer nos institutions démocratiques pour donner plus de pouvoir aux citoyens pourrait engendrer des résistances du monde politique», conclut Victor Sanchez-Mazas.  —

www. demoscan.ch