16 février 2023 - Melina Tiphicoglou

 

Vie de l'UNIGE

Leadership féminin: un programme pour casser le plafond de verre

Le programme H.I.T est une formation nationale réservée aux meilleures professeures de Suisse aspirant à rejoindre des postes de direction. Six professeures de l’UNIGE ont été sélectionnées pour y participer en 2023.

 

 

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Illustration: R. Crameri


Six professeures de l’UNIGE ont été sélectionnées pour participer au programme H.I.T (pour «High Potential University Leaders Identity & Skills Training Program – Inclusive Leadership in Academia»), une formation nationale visant à former spécifiquement les femmes professeures afin qu’elles assument davantage de postes de leaders – directrice, doyenne, rectrice – académiques. «On sait que pour rompre le plafond de verre, il faut intervenir à trois niveaux: individuel, systémique et sociétal, explique Juliette Labarthe, directrice du Service égalité & diversité de l’UNIGE. Le programme H.I.T cherche à agir au niveau individuel. De telles initiatives, qui complètent le soutien que l’on propose au niveau institutionnel (Subside tremplin, Mentorat relève, Réseau romand de mentoring et Professeures), permettent de faire bouger les lignes. Plusieurs femmes devenues notamment doyennes rapportent qu’elles n’auraient jamais pensé à postuler si on ne les avait pas encouragées.»

 

Lancé en 2019 et mené par l’Université de Zurich, avec les neuf universités cantonales et les deux universités techniques fédérales, le programme H.I.T est réservé à 26 participantes, sélectionnées parmi les meilleures professeures de Suisse. La troisième édition se déroulera entre le 14 mars et le 7 septembre 2023, pour un total de cinq journées au cours desquelles les élues acquerront des compétences transversales en matière de leadership et développeront leur réseau au niveau suisse. Une expérience de shadowing, qui consiste à accompagner un-e dirigeant-e tout au long de la journée, est également au programme. «C’est une formule originale qui permet non seulement de se rendre compte de l’ampleur de la tâche, mais aussi de voir ce type de postes, qui peuvent être impressionnants, sous un angle plus humain, les rendant de facto plus accessibles», commente Juliette Labarthe.

Développer son réseau
Une des qualités de ce programme est la mise en réseau au niveau suisse qu’elle permet. Klara Posfay Barbe, médecin et cheffe du Service de pédiatrie générale, l’a suivi en 2021-22. Elle rapporte l’avoir partagé avec «des femmes absolument extraordinaires: intelligentes, curieuses, pleines d’idées et de succès. Pourtant, chacune de nous, quelle que soit sa faculté ou son université, pouvait se reconnaître dans des difficultés de carrière liées au genre. La mise en commun de nos expériences a été riche, utile et inspirante.»

Participante de la première édition, la volcanologue Costanza Bonadonna est vice-doyenne de la Faculté des sciences depuis 2018. Elle se hissera au poste de doyenne en juillet 2023 et sera la première femme à l’occuper, une situation exceptionnelle qu’elle espère contribuer à rendre normale. «Jusqu’à présent, la Faculté n’avait connu qu’une vice-doyenne – Brigitte Galliot – et elle est devenue vice-rectrice, explique-t-elle. Il était donc difficile d'avoir une femme au poste de doyenne avant moi. En augmentant le nombre de femmes responsables à tous les niveaux, il y aura naturellement plus de candidatures pour ce type de fonctions.»

Leadership inclusif et biais inconscients
Les programmes comme H.I.T visent justement à rééquilibrer la répartition des genres dans les hautes sphères en encourageant spécifiquement les femmes et en défendant un leadership moderne et inclusif. Les préjugés, ces biais inconscients (de genre, de religion, de proximité…), que l’on reproduit toutes et tous de façon involontaire, jouent notamment un rôle important au moment de sélectionner des candidat-es (lire ci-dessous). «Tout le monde doit être sensibilisé à ces questions, insiste Costanza Bonadonna, qui, depuis sa participation au programme H.I.T, travaille à réduire les biais de genre au sein de la Commission égalité et diversité de la Faculté des sciences dont elle est membre en tant que vice-doyenne. C’est pourquoi, à terme, je trouverais intéressant que le programme s’ouvre aux hommes. Le leadership du futur est un leadership où les femmes et les hommes partagent des valeurs communes et travaillent ensemble.»

Mais il y a encore du pain sur la planche. Alors que les femmes représentent 60% de l’effectif étudiant, elles ne sont en effet plus que 30% de professeures. «Pour changer de culture, il est important que les jeunes générations soient confrontées à des rôles modèles, explique Juliette Labarthe. C’est la responsabilité des femmes d’aujourd’hui de jouer ce rôle.» Costanza Bonadonna l’endosse volontiers: «Aujourd’hui, mon rôle, que je sois professeure ou doyenne, est de soutenir mes étudiant-es et mes collaborateurs/trices, de les superviser et de créer un environnement fécond pour la recherche. Je vais forcément diminuer un peu mes propres travaux de recherche, mais cela fait partie de l’évolution académique.»

H.I.T Program: Best Professors in Switzerland
High Potential University Leaders Identity & Skills Training Program
Pour en savoir plus

 


Les six professeures lauréates de l’UNIGE sont :

Tina Ambos – GSEM
Professeure ordinaire de gestion internationale et directrice du Centre pour l’innovation et les partenariats

Enrica Bordignon – Faculté des sciences
Professeure ordinaire au Département de chimie physique

Muriel Cuendet – Faculté des sciences
Professeure associée, Section des sciences pharmaceutiques, groupe de pharmacognosie

Isabella Eckerle – Faculté de médecine
Professeure associée, Département de médecine, Service des maladies infectieuses, groupe virus émergents, coresponsable du Centre des maladies virales émergentes

Caroline Samer – Faculté de médecine
Professeure associée, Département d’anesthésiologie, pharmacologie, soins intensifs et urgences (UNIGE), médecin-cheffe du Service de pharmacologie et toxicologie cliniques (HUG)

Dina Zekry – Faculté de médecine
Professeure associée, Département de réadaptation et gériatrie (UNIGE), médecin-cheffe du Service de médecine interne de l’âgé Trois-Chêne (HUG)

Comment se manifestent les biais inconscients
Chargée de cours en psychologie sociale à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, la docteure Klea Faniko est spécialiste dans le domaine des biais de genre. Selon elle, ces biais fonctionnent comme des raccourcis mentaux, des schémas de pensée trompeurs ou faussement logiques. Ils sont des mécanismes qui permettent de simplifier, d'organiser et de donner un sens à son entourage social. Ils influencent les perceptions sur les autres, mais aussi sur soi-même.

Les psychologues distinguent les biais cognitifs explicites des biais cognitifs implicites. Les premiers se réfèrent à des croyances entretenues plus ou moins consciemment et généralement assumées, voire revendiquées. Par exemple en affirmant que les femmes sont plus aptes à élever des enfants qu’à occuper des postes à responsabilité. Dans une volonté de se montrer politiquement correctes, certaines personnes contrôlent ou censurent ce genre de biais dans leur discours. Quant aux biais implicites, ils font référence aux associations ou aux réactions dont les individus sont souvent inconscients. Cela se manifeste, par exemple, lorsque l’on demande à des enfants anglophones de dessiner «a scientist» et qu’ils/elles vont, de manière prépondérante, coucher sur le papier une silhouette masculine. Dans ce cas, les enfants n’ont pas de contrôle sur leur biais.

Qu’en est-il dans le monde académique? «Lors d’une procédure de recrutement, une candidate âgée d’une trentaine d’années pourra provoquer la crainte inconsciente, chez les évaluateurs et évaluatrices, que ses préoccupations familiales puissent prendre le dessus sur son travail scientifique, ou que ses capacités pour diriger des équipes ou gérer des fonds ne sont pas suffisantes», explique Klea Faniko. Nous parlons souvent de biais de genre, mais il en existe d’autres liés à des appartenances groupales – comme l’origine ethnique, le parcours professionnel ou scolaire –, qui peuvent provoquer des attitudes défavorables envers certains individus et inciter à avoir une préférence pour les personnes du même groupe lors des processus de recrutement.

 

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