[p. 1]

1938-11-24, Max Dominicé à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

Pardonne-moi de t’abreuver ainsi de papier… mais on a parlé de toi ce soir au comité auxiliaire de l’Association chrétienne d’étudiants de Genève. Voici de quoi il s’agit : le groupe d’études catholiques de l’Université attire nos étudiants à des rencontres et conférences où ils entendent des Pères onctueux leur parler de saint Jean de la Croix et autres birbes. Nous voudrions profiter du passage dans nos murs de nos hommes d’élite, pour les faire rencontrer à nos étudiants. Tu comprends…

Peux-tu nous faire l’immense plaisir de prévoir qu’au lendemain de ta conférence APP à Genève (sera-ce le mercredi 18 ou 25 janvier ?) tu resterais un jour de plus à Genève pour consacrer une soirée à nos étudiants ?

Il ne s’agirait pas d’une conférence solennelle, mais bien plutôt d’un entretien familier introduit par quelques thèses de toi, bien tapées et commentées. Tâcher surtout de les faire causer et de répondre à leurs questions. Autour d’une table. Le sujet qui t’est proposé est : « Pourquoi je suis protestant ».

J’aime mieux ça que « Bonheur d’être réformé », qui a l’air d’une blague de conscrit. Mais c’est cela qu’on te demande de montrer. Une bonne grosse joie huguenote (qui n’exclut pas le sérieux, même le tragique, loin de là). Montre-leur qu’un jeune Suisse romand, qui est fêté par des gens très bien à Paris, ne remplit pas forcément ses culottes dès qu’il aperçoit une soutane. Rends-leur un peu l’atmosphère des cafés noirs de Juvisy avec Barth et Maritain. On ignore tout de ces choses ici ; on ignore Bièvres, etc.

Mon cher Denis, il faut que tu acceptes. Crois-moi si je te dis que c’est vraiment très important… plus important que le dîner de la V. P.

[p. 2] Mille et mille amitiés de nous deux à vous deux. Françoise se réjouit beaucoup de voir dans la V. P. de demain un article de son Parrain !
M.