[p. 1]

1939-08-16, Denis de Rougemont à Max Dominicé

Cher Max,

Par où commencer ? Tes deux lettres demandent sept ou huit réponses !

D’abord, un très gros merci à Françoise pour son ours qui m’a ravi. J’ai un amour tout spécial pour les ours, elle a dû sentir ça. Je vais tâcher de sentir, de mon côté, ce qui correspond chez elle à l’amour des ours. Aide-moi, à l’occasion.

Ensuite, pour samedi-dimanche, ce n’est pas possible. Nous avons un ami en séjour ici, des projets d’excursions arrangés, et diverses petites raisons de ne pas bouger trop. Il n’est pas exclu que nous allions à Genève vers la fin du mois, et dans ce cas je t’avertirai à temps. Mais le plus sûr serait que vous veniez un jour ici, fin août ou début de septembre, quand tu seras moins bousculé entre divers domiciles.

Ne prends pas au tragique nos « opinions » sur la V. P., qui n’ont pas grande portée. La vérité est que tous les journaux m’ennuient depuis quelques mois, uniformément. À parler objectivement, je trouve la V. P. fort bien faite, et en progrès depuis quelques numéros.

Mon article sur la [Suisse] chrétienne ? J’ai oublié de l’envoyer au Semeur vaudois, qui [p. 2] pourtant me l’avait demandé. Maintenant, c’est refroidi.

Quant à l’article sur Nicolas de Flue et la Réforme, il a pris des proportions telles — seize pages — que j’ai dû l’envoyer aux Cahiers protestants. Il va paraître un de ces jours. Mais si tu n’y vois pas d’incompatibilité, je puis en récrire un beaucoup plus bref pour la V. P. Je tâcherai de faire neuf, de citer d’autres textes, de varier le plan. Cela ferait cinq pages. Une carte postale pour me dire si cela vous va.

Merci pour les articles, que je te retourne. Je ne connaissais pas les deux sur Nicolas. C’est admirable de voir comment les Neuchâtelois ont su faire de la pièce un événement communautaire. Quatre lectures publiques dans le canton, à Zurich et à Berne, cinq-cents participants, les costumes fabriqués par des dames du pays, les figurants et acteurs recrutés dans différents villages et animés d’une ferveur accrue par les rivalités locales, les chœurs répartis entre La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel, des échos hebdomadaires dans notre presse. Il faut voir les pêcheurs d’Auvernier répéter leurs rôles !! Le texte sort de presse, je t’en enverrai un exemplaire.

Pour mon Amour, ne serait-il pas possible que la V. P. en cite certaines pages dans la page de la femme (ou de l’homme), comme l’ont fait Temps présent et d’autres feuilles ? La revue des dominicains d’Oxford dit que les deux derniers livres pourraient être « a vademecum for young lovers ».

Je suis en train de terminer un livre et de me replonger dans un autre, sur la Réforme. Et j’ai accepté vingt conférences pour cet hiver : Suisse, Roumanie, Belgique, Hollande, Paris et peut-être Argentine-Brésil. C’est un peu de la folie. Je dois dialoguer aux Annales avec Mauriac, sur Pascal.

Mille choses affectueuses pour vous deux, et deux gros becs à Françoise.
Denis