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1938-11-03, Max Dominicé à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

Merci de tout cœur pour tes deux envois.

Ton Journal d’Allemagne est une pure merveille, et nous l’avons dévoré dès la réception, Madeleine et moi. Je me réjouis de le reprendre pour le méditer, lorsque Bonifas (de Ferney), à qui je l’ai prêté, me l’aura rendu. J’espère et je suis sûr que tu auras une bonne critique.

Quant à ton article pour la Vie protestante, il m’a enthousiasmé. Il est arrivé le lendemain de notre comité hebdomadaire, de sorte que je ne puis pas encore te donner l’avis du comité, mais Marc Chenevière l’a trouvé remarquable. Envoie-nous souvent des papiers de cette valeur et sur ce ton, et le succès de notre journal est assuré ! Non, je ne l’ai pas trouvé trop violent. Je ne te demanderai qu’une correction : au lieu de mettre « ces Messieurs les dictateurs », permets-moi de mettre « ces dictateurs ». Car ta formule ici est inutilement polémique et méprisante.

[p. 2] Nous tenons à le faire passer dans un de nos numéros dits « paroissiaux » qui tirent à 25 000 exemplaires, c’est dire que ton article paraîtra probablement le 2 décembre… à moins que les prudents parmi nous ne trouvent qu’à cette date notre Journal n’est pas encore assez lancé pour se permettre cela… car ta prose fera hurler bien des gens, si j’en juge par une conversation avec un colonel qui m’a refusé sa souscription à notre fonds de lancement parce que j’ai dit devant lui avec une certaine véhémence que le Journal de Genève avait eu tort de prendre comme il l’avait fait parti pour Franco !

Je n’avais pas pensé que tu nous ferais chaque semaine un « billet ». Mais plus tu pourras collaborer à la Vie protestante, plus nous serons contents. Et nous te rétribuerons !

La nouvelle que tu m’annonces concernant l’Exposition de Zurich me remplit de joie. Bravo ! Bravo pour toi, bravo pour la Suisse, et bravo pour le protestantisme ! Notre pauvre pays commence à puer si fort le cierge que je salue la demande qui t’a été faite comme un véritable événement. Voue tous tes soins à [p. 3] cette affaire. Que la brave petite Cigogne se fâche tout à fait pour te faire aboutir à temps. Nous comptons sur elle !

Sois bien Réformé… mais pas de façon à te faire retoquer.

N’oublie pas, la prochaine fois que tu m’écriras (c’est-à-dire demain pour me dire si je puis supprimer le « ces Messieurs ») de me donner le libellé exact de votre adresse actuelle ; faut-il encore mettre « La Petite Châtaigneraie » ?

En profonde affection de nous deux à vous deux. Pensez à nous devant Dieu : je n’ai pas encore obtenu de Madeleine qu’elle fasse l’absence qui lui est nécessaire… mais j’espère y parvenir.

La Vie protestante paraît demain matin… je me réjouis comme un gosse. Il y a eu un coup de feu terrible hier. Marc Chenevière se révèle un as. Tu me diras très nettement, n’est-ce pas, ce que tu penses de nos premiers numéros ?

Max Dominicé