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1969-10-05, Max Dominicé à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

En vertu de quel miracle Madeleine a-t-elle mis la main sur cette lettre, vieille de 36 ans, j’avoue ne pas le savoir et n’y rien comprendre !…

Manifestement, cette lettre n’a jamais été expédiée, car il s’agit bien de mon premier manuscrit et non pas d’une copie et d’un brouillon. Cela vaut mieux, en somme, vu son ton un peu vif.

Je ne vois absolument pas qui pouvait en être le destinataire, ni pourquoi on m’avait convié à la [p. 2] réunion marquant le départ de William Martin pour Zurich…

Te souviens-tu peut-être que cet homme, au lendemain de 1919, embouchait quotidiennement dans le Journal de Genève la trompette de la germanophilie, au point que je me souviens fort bien avoir projeté de lui écrire (encore une lettre qui n’est jamais partie) : « Je tiens à vous prévenir, Monsieur, que le jour où les Allemands envahiront la Suisse, je me ferai un devoir et un plaisir, en gagnant la caserne dans ma tenue de soldat d’infanterie, de [p. 3] passer par le Journal de Genève pour vous botter le derrière avec mes godillots. »

Cela m’amuse de t’envoyer mon texte de 1933. Écrit au moment même où Hitler arrivait au pouvoir, il me paraît assez remarquable, presque prophétique. (Tu sais que je suis un humble…)

Renvoie-moi cette lettre après lecture, je t’en prie et j’y compte.

En fidèle amitié.
Max

 

[p. 4] P.-S. T’ai-je jamais montré les vers ci-inclus, qui sont aussi de ma composition ?

M

 

[p. 5] La France est comme un coq. Or cette étrange bête

Est capable, dit-on, de courir un long temps

Quand, sur son maigre col un couteau s’abattant,

On lui a, d’un coup sec, éliminé la tête.

 

Pauvre France tu cours, depuis cent-huitante ans,

Du quatorze juillet tu fais ta triste fête,

Refusant d’avouer, en ton aveuglement,

Qu’en tuant ton bon Roi tu t’es tranché la tête.

[p. 6]J’avais écrit en 1955 :

 

La France est comme un coq. Or cette étrange bête
Est capable, dit-on, de courir un long temps
Quand, sur son maigre col un couteau s’abattant,
On lui a, d’un coup sec, éliminé la tête.
Pauvre France tu cours, depuis cent-soixante ans,
Du quatorze juillet tu fais ta triste fête,
Refusant d’avouer, en ton aveuglement,
Qu’en tuant ton bon Roi tu t’es tranché la tête.