[p. 1]

1939-08-17, Max Dominicé à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

Nous sommes absolument désolés que notre projet ne s’arrange pas pour ce dimanche. « Les Etoles », où nous comptions vous emmener, sont une terre qui fait partie depuis les temps anciens du domaine du Crest, ayant été autrefois genevoise, puis cédée par Genève à la Sardaigne lors d’un échange de territoire. La fermière nous y sert des repas pantagruéliques et succulents dans une vaste salle de chasse. Les Éric Martin auraient été heureux de cette occasion de vous y rencontrer. Nous ne pouvons malheureusement pas remettre le projet à huitaine, car en ce temps de gros travaux des champs, ce dimanche 20 est le seul possible aux Etoles. Si donc, pour une raison imprévue, vous vous trouvez libres dimanche, accourez.

Mais cela n’empêche pas que nous nous voyions à Genève avant la fin du mois. Je dis à Genève et avant la fin du mois, car il me semblerait vraiment dommage que vous manquiez l’exposition des chefs-d’œuvre du Prado, qui vaut le voyage. Un gardien disait à ma mère, constatant l’affluence des visiteurs : Pour moi, c’est du snobis[m]e ! Il avait peut-être un peu raison, mais se trompait aussi largement. Je n’entends pas grand-chose à la peinture, mais je pense qu’il y a là de quoi révéler la puissance de cet art aux plus béotiens. Des visites avec des gens sans aucune culture ont été tout à fait révélatrices. Un gaillard comme Vélasquez est vraiment un tout grand tout grand. Madrid refuse de prolonger l’exposition au-delà du 31 août. (As-tu vu que le ministre de la Presse et de la Propagande choisi par le Caudillo s’appelle M. Jésus Pabon… ça promet !! Quel dommage que Chic et Nu n’existe plus !

Donc vous venez avant la fin du mois. Le week-end du 27 me conviendrait particulièrement bien, car je ne prêche pas ce dimanche-là. Cela ne nous dérange absolument pas de vous loger aux Bosquets en notre absence : les lits sont prêts, et vous disposez de mon bureau, qui est arrangé ; vous faites votre petit déjeuner sur le gaz. C’est simple comme bonjour et cela nous ferait plaisir. J’aimerais aussi beaucoup te faire faire la connaissance de mon ami Fraissinet (des 200 familles), qui est dans la région jusqu’au 31.

[p. 2] Françoise, très émue par tes remerciements, n’a aucun besoin quelconque d’un cadeau. Apporte-lui quelques chocolats, c’est ce qui la ravira le plus.

NICOLAS DE FLUE : Ta proposition me semble excellente. Tu peux faire pour la V. P. quelque chose d’assez différent de ton étude des Cahiers protestants, et puis ce n’est pas le même public. Nous avons prévu ton article pour notre numéro paroissial du 1er septembre, qui va dans 25 000 familles. Et cela fera de la réclame aux Cahiers, qui en ont toujours besoin. Donc j’attends ton article. Dernier délai : lundi 28 (nous avons séance le soir). Prévois deux colonnes et demie à trois colonnes.

AMOUR : J’ai entendu parler avant-hier d’une femme et fille de professeur, qu’on me dit avoir une bonne théologie, qui a reçu de ton livre un véritable choc ; elle dit qu’il marque une nouvelle étape dans sa vie.

Je vais lui demander un article (en mon nom personnel, ce qui permettra de le faire refuser par le Comité s’il est mauvais).

CONFÉRENCES : Tu me donnes des regrets… Après lecture de l’AMOUR, je me proposais d’organiser une vaste conférence au Victoria Hall (1750 places, qu’on aurait vendues très cher, pour une fois) où tu aurais parlé sur « La fidélité conjugale ». Énorme succès ! J’y ai renoncé, étant donné que tu as parlé à Genève l’hiver dernier. Mais puisque d’autres t’appellent en Suisse, j’ai bien envie de reprendre mon projet. On en reparlera.

Donc, à bientôt, mon cher Denis. Dis à ta chère Cigogne que je l’aime beaucoup et prévenez-nous de votre arrivée. Notre maison est à votre disposition pour le nombre de jours que vous voudrez.