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1940-06-20, Denis de Rougemont à Max Dominicé

Cher Max,

Mon petit articlea me vaut de passer tout mon temps dans ma chambre, depuis ce matin, en attendant qu’on me transfère en quelque lieu moins confortable et plus isolé. Je tenais à te signaler l’incident, pour la gouverne de la V. P. Toutefois n’exagérons rien : Rigassi n’a reçu qu’un « sévère avertissement », son journal n’est ni suspendu (comme la Sentinelle, Neue Wege, Pilori, etc.) ni même soumis à la censure préalable. C’est contre moi que s’est portée la colère officielle et même « générale », tu m’entends, à cause d’un froncement de sourcil de la légation d’Allemagne. Je saurai aujourd’hui à quoi je dois m’attendre. C’est l’application de la page 212 de mon livre sur la Suisse, et aussi hélas, du second terme de son titre. Vixit libertas. Nous ne sommes plus souverains.

Mais je reçois à chaque courrier deux ou trois lettres émouvantes, et hier un officier m’a apporté des cigarettes françaises de la part de mon chef.

Merci de ta visite. Préparons-nous aux catacombes, en attendant la renaissance pour le printemps prochain, après un dur hiver où nous serons souvent tentés de maudire les Anglais, je le crains. Mais ils travailleront pour nous.

Affectueusement.
D. d. Rgt

 

P.-S. J’ai oublié de te demander si la V. P. allait parler de mon livre. Je le fais maintenant avec insistance ; à cause des pages 211 et 212 justement. Il faut que ça soit lu.