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1950-09-10, Jean Paulhan à Denis de Rougemont

Mon cher ami,

Merci de votre Lettre. Vous avez affaire à de drôles de traîtres, et je ne sais vraiment pas comment vous vous débarrasserez d’eux : Pas un des hommes de Strasbourg ne veut l’Europe. (À vrai dire, je crois que les peuples non plus ne la veulent pas.)

Au lieu qu’en exigeant une souveraineté mondiale — et voilà une idée qui peut soulever des foules — vous vous trouveriez faire l’Europe innocemment, sans l’avoir cherché, chemin faisant.

Bonne [p. 2] chance tout de même !

Notre Cahier-Perse a été retardé par toute sorte d’embarras — & jusqu’à des menaces de procès. Pardonnez-nous. Vous l’aurez dans trois à quatre semaines.

Avec amitié.
Jean Paulhan

 

On ne s’accorde pas, parce qu’on se dit « nous allons bien nous accorder, ce sera très utile, etc. » Non, on a une foi commune, on est prêt à mourir pour une même cause — et il se trouve aussi que l’on s’est accordé (sans l’avoir fait exprès).

Or la souveraineté mondiale peut être une cause, l’Europe — à tort ou à raison — n’en est pas une : ce n’est pour le moment qu’une affaire d’armée et de généraux.