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1935-09-03, Denis de Rougemont à Jean Paulhan

Mon cher ami,

Je ne sais si le troisième dialogue sur la carte postale, que je vous envoie, arrangera les choses avec M. Church. Il aggrave mon cas, dans un certain sens. Mais comme Luther à Worms, je déclare que je ne puis autrement !

Les textes de Paracelse dont je vous avais parlé sont à Paris. J’ai écrit à mon ami A.-M. Schmidta pour lui demander de les copier. J’espère pouvoir vous les envoyer avant le 10, mais je crains un léger retard. J’avais cru comprendre qu’ils ne pourraient passer que dans le numéro suivant.

Pour Lagerlöf, je pense que « Je sers » ne demandera pas mieux que de vous en donner des fragments. Il y a trois volumes en préparation, la suite de l’Anneau et la suite de Gösta Berling. Je viens de lire la note de E. Noulet (qui est-ce ?) qui est très juste, me semble-t-il. Il y a une sorte de gloire, quelque chose d’illustre dans la manière de conter de Lagerlöf, qui fait tout passerb.

Saint-Martin. J’ai ici l’édition de 1802 de L’Homme de désir, mais elle appartient à la Bibliothèque de la Ville de Neuchâtel, et j’hésite à vous l’envoyer, craignant qu’elle ne devienne la proie des requins entre les Salins d’Hyères et votre île, et que je n’aille en prison. Pourrai-je [p. 2] vous en recopier certains passages ? Il y a des choses splendides sur le langage.

L’astrologie ? C’est évidemment le fondement de toute la science, en tant que la science décrit les déterminismes des corps. Le malheur est qu’on a fait très peu d’expériences — quelques-unes tout de même — sur les relations entre tel astre et tel métal par exemple, ou telle maladie. Ce qui est acquis, c’est que certaines conjonctions d’astres modifient les figures de cristallisation de certains sels, régulièrement. Astrologie égale science des causes, théologie : science des fins. Et nous sommes suspendus dans l’entre-deux, avec nos petites méthodes d’intérêt local, sans queue ni tête, sauf par hasard.

Quand nous donnerez-vous les Fleurs de Tarbes ? Je les attends pour ma part avec impatience. Il faudra fonder une revue consacrée aux questions du langage, avec quelques poètes, Joyce, et un ou deux linguistes distingués pour faire sérieux. Je crois que rien ne serait plus immédiatement utile. Qu’en pensez-vous ?

Mon fils exerce déjà ses lèvres à former des réponses, j’attends beaucoup de lui !

Toutes nos amitiés.
D. de Rougemont

 

Le titre de mes trois dialogues est La Carte postale. J’ai introduit sournoisement une phrase de vous dans le troisième. La reconnaîtrez-vous ?

 

P.-S. Je m’aperçois, après lecture du dernier Benda, que mon troisième dialogue est une défense des « colloïdaux ». Mais les métaux nobles ne peuvent « agir » sur l’homme, précisément, qu’à l’état de suspension colloïdale.

2e P.-S. Je reçois votre lettre d’hier lundi (quelle rapidité de transmission !). J’oubliais de vous dire que je comptais bien vous envoyer des notes sur Lawrence (Brett et Matinées mexicaines) et Kierkegaard. J’y joindrai une autre note sur Chuzeville (Mystiques allemands)c. J’espère vous voir à Paris fin septembre ou début d’octobre.

Amitiés.
DR