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1933-02-01, Denis de Rougemont à Jean Paulhan

Cher ami,

Merci de m’avoir communiqué cette lettre : elle me prouve à l’évidence la nécessité d’un second Cahier qui donnera cette fois-ci des précisions d’action, au lieu de se borner à décrire des fondements idéologiques — ce qui tout de même était nécessaire. Beaucoup d’intellectuels pensent aujourd’hui ceci : « La Révolution est nécessaire ; elle m’ennuie ; le marxisme est inacceptable ; pourtant lui seul est fort (id est : constitué) ; conclusion : je dis que si j’étais révolutionnaire je serais marxiste ; et comme le marxisme est faux, je cultive mes choux. » Alors qu’il y a des groupes qui se forment, qui eux ne sont pas « faux » à la base, qui eux demandent la collaboration directe des intellectuels ; qui eux sont directement gênants… pour les intellectuels.

Débat sur ces groupes et le Cahier à la rue Visconti, le 18 février à 9 h.

[p. 2] Nous travaillons beaucoup. Cela se verra d’ici quelques semaines : revues, congrès, débats publics, tracts, agitations dans les syndicats, chez les fédéralistes et les paysans.

J’ai répondu à Nizan par une courte lettre ouverte, dans laquelle je précise qu’il a connu la composition et l’esprit du Cahier avant d’y contribuer, et qu’il vient un peu tard pour faire le petit pur. J’ai vu Guéhenno, qui a peur de nous — et sans doute aussi de la Révolution.

Les maximes de F. Abelous sont vraiment fort bien, dans le genre féroce du protestant qui ne se le pardonne pas. (Il est fils de pasteur.)

Je vais vous envoyer une note sur Pétrarque. Quelqu’un a-t-il réservé les Romantiques de Ricarda Huch ? Sinon, je serais content de le fairea.