Situations de handicap

Polyhandicap

APPORTS DE L'OCULOMÉTRIE POUR ÉVALUER ET ENTRAINER LES COMPÉTENCES SOCIO-ÉMOTIONNELLES D'ENFANTS ET ADOLESCENTS EN SITUATION DE POLYHANDICAP

Une étude longitudinale de neuf cas uniques suivis sur quatre ans

 

projet de thèse Financé par le FNS (subside Doc.ch) – Thalia Cavadini
en partenariat avec L'Institut Médico-Éducatif (IME) Croix-Rouge française « La Clé des Champs »
 


But initial du projet : favoriser la Communication Alternative et Améliorée

En 2018, la Croix-Rouge française a décidé de développer des dispositifs favorisant la Communication Alternative et Améliorée (CAA) sur l’ensemble de ses établissements et services accompagnant des enfants et des personnes adultes rencontrant des troubles de la parole et du langage. Son projet « Communiquons autrement ! » a pour objectif de permettre à toute personne en situation de handicap d’apprendre à communiquer, à exprimer des choix ou des attentes grâce à des outils numériques et logiciels ludiques de CAA. Numérique ou non, cette dernière propose des moyens de communication adaptés (gestes, symboles, synthèses vocales, logiciels...) aux personnes qui ne parlent pas ou qui ont des difficultés de communication pour favoriser leur autonomie et l’exercice de leur pleine et entière citoyenneté. Ainsi, la Croix-Rouge française a proposé des formations à la démarche de CAA à l’ensemble de ses professionnels. Elle a également équipé plus de 70 établissements dédiés aux personnes en situation de handicap de divers outils et kits numériques de communication adaptés aux besoins des utilisateurs ainsi qu’aux demandes des professionnels et des aidants familiaux étroitement associés à la mise en œuvre du projet. Dans ce contexte, l’institut médico-éducatif (IME) La Clé des Champs, engagé depuis 2012 dans un projet institutionnel « apprentissage pour tous » et convaincu des compétences cognitives de tous les enfants, quel que soit leur handicap, a fait l’acquisition de plusieurs dispositifs de suivi oculaire (oculomètres) et de logiciels ludiques de CAA (cf. extrait vidéo ci-dessous). C’est cette conviction de la compétence cognitive des enfants polyhandicapés qui a poussé l’équipe de direction de l’IME La Clé des Champs à travailler avec l’Université de Genève.


Naissance d'un projet de recherche collaboratif

Ce travail de recherche est né d'une demande émise par une équipe interdisciplinaire de professionnels travaillant au quotidien avec des enfants en situation de polyhandicap. Peu de temps après que la Croix-Rouge française équipé l'IME "La Clé des Champs" d'eye-trackers et de différents logiciels éducatifs tels que Look to Learn, les professionnels de cet établissement ont rapidement aperçu des changements positifs dans les comportements des enfants qui bénéficiaient de séances de travail individuelles utilisant ce dispositif de commande oculaire (cf. extrait vidéo ci-dessous). C'est alors que la direction de cet institut médico-éducatif est entrée en contact avec le groupe de recherche SMAS avec le souhait de collaborer à la mise en place d'un projet de recherche visant à opérationnaliser et démontrer, par l'apport de preuves empiriques, les progrès rapportés par l'équipe pluridisciplinaire.


L'oculométrie

L’oculométrie (dispositif d’eye-tracking) est une technique permettant de mesurer, d’enregistrer et d’analyser les mouvements oculaires sur un stimulus visuel grâce au reflet de la lumière infrarouge sur la pupille et la cornée. Cet outil permet d’examiner, de manière non-invasive, où, quand et combien de temps une personne regarde une scène. Ce dispositif a de nombreux domaines d’application, allant du marketing à la recherche scientifique notamment dans le domaine de la psychologie du développement et du handicap où les apports de cette technologie sont significatifs (pour une revue, voir Tardif et al., 2016 ; pour un exemple avec la CAA voir Wilkinson & Mitchell, 2014).
Les professionnels de La Clé des Champs ont décidé de dédier une salle à l’usage des dispositifs de suivi oculaire afin de pouvoir y effectuer, de façon régulière, des séances de travail individuel avec leurs résidents en situation de polyhandicap. En sélectionnant des logiciels de CAA adaptés aux compétences de chacun et en établissant des fiches d’évaluation avec des objectifs à court et long terme, ces séances ont été intégrées à part entière aux projets personnalisés d'accompagnement. Rapidement, les professionnels ont observé des changements positifs dans les comportements des enfants et adolescents qui bénéficiaient de ces séances de travail (notamment des manifestions de joie par des sourires/vocalises durant la séance ou de manière anticipée à l'annonce de l'activité et même une diminution des comportements d'auto-agression). Les professionnels expliquent en partie ces effets bénéfiques par le fait qu'à travers ces séances de travail, la majorité de ces jeunes faisaient, pour la première fois, l'expérience de pouvoir agir et exercer un certain contrôle sur leur environnement. Pour mieux comprendre et évaluer ces potentiels effets bénéfiques, la direction de l’IME et le Laboratoire de psychologie du développement sensori-moteur, affectif et social (SMAS) de l’Université de Genève ont initié un projet de recherche innovant en 2020.


Objectif général

Les personnes en situation de polyhandicap présentent un handicap grave à expressions multiples associant une déficience motrice et une déficience mentale sévère ou profonde. Malheureusement, le développement et le fonctionnement cognitif de cette population demeurent très peu étudiés. Les difficultés, notamment méthodologiques, liées à l’évaluation des personnes avec polyhandicap sont similaires à celles rencontrées par les chercheurs étudiant les compétences des nourrissons. Or, les compétences de ces derniers sont largement étudiées avec des paradigmes expérimentaux adaptés. Ce projet propose d’utiliser l’oculométrie – un dispositif de mesure couramment utilisé pour étudier les compétences précoces des nourrissons – pour, d’une part, mesurer les compétences socio-émotionnelles d’enfants avec polyhandicap via leurs préférences visuelles pour différents stimuli tirés de paradigmes expérimentaux connus et validés et, d’autre part, concevoir et mettre en œuvre des entrainements cognitifs individualisés visant à soutenir et accroitre les compétences de chacun à travers le temps.


Objectifs spécifiques

Le développement de la communication est sous-tendu par différentes compétences sociales émotionnelles précoces qui, lorsqu’elles sont altérées, impactent les apprentissages. Il est notamment crucial d’être capable de différencier les stimuli socialement saillants des stimuli neutres dans l’environnement et, une fois avoir identifié les individus humains, de pouvoir détecter une série d’indices sociaux tels que les visages (et plus précisément repérer les yeux et vers quelle direction ils sont dirigés) ou encore l'expression faciale qu’ils manifestent. L’identification de ces signaux sociaux est primordiale puisqu’ils véhiculent de nombreuses informations essentielles pour déterminer l'état attentionnel, affectif et même intentionnel d’autrui. Nous avons donc décidé d’examiner ces habiletés précoces qui ont une importance majeure dans le développement social et communicatif, à savoir (1) l’attention préférentielle au mouvement biologique, (2) l’orientation sociale, (3) l’exploration visuelle des visages humains et (4) la discrimination des expressions faciles de joie et de colère, (5) l’attention conjointe, et (6) les évaluations socio-morales. Ensembles, elles soutiennent la communication non-verbale et permettent une stimulation sociale appropriée, essentielle au développement de l’intention de communication. Par conséquent, il apparait pertinent d’étudier leur développement chez une population ayant eu accès à une environnement social extrêmement restreint dès le plus jeune âge, telle que les personnes polyhandicapées dont les possibilités d'interactions avec le monde social qui les entoure sont fortement limitées à cause de la sévérité et de l'étendue de leurs déficiences intellectuelles et motrices (Hostyn et al., 2011).
Par ailleurs, en raison de l'intrication complexe de déficiences intellectuelles et motrices associées généralement à de nombreux troubles ou déficits secondaires chez ces individus, l'évaluation psychologique de cette population reste actuellement très difficile (Scelles, 2021). Elle est néanmoins indispensable car les professionnels ont besoin d’avoir des repères partagés afin d’orienter leur intervention et définir des priorités dans les différents accompagnements (Scelles et Petitpierre, 2013). A travers la conception et l'application d'un paradigme adapté, notre recherche vise à apporter une contribution à ce processus en proposant une méthode d’évaluation destinée aux personnes polyhandicapées qui tienne compte des spécificités liées à leurs handicaps multiples tout en offrant un cadre d’interprétation objectif des réponses comportementales individuelles.


Contexte scientifique et enjeux sociétaux

Le projet relève de la recherche fondamentale orientée vers l’application. Contribuant à une meilleure compréhension du développement socio-émotionnel et du fonctionnement cognitif de la personne polyhandicapée, le projet offre aussi la possibilité d’aboutir à une application pratique en proposant une méthode d’évaluation et d’entraînement capable de tenir compte des spécificités liées à aux expressions multiplies des handicaps tout en offrant un cadre d’interprétation objectif des réponses comportementales individuelles.

La méthodologie expérimentale

Nous avons alors développé un paradigme expérimental composé de différentes tâches de préférences visuelles inspirées d’études antérieures pour investiguer, à l’aide d’un dispositif d’oculométrie, le développement socio-émotionnel d’enfants et adolescents polyhandicapés. La notion de préférence visuelle fait référence à une méthode expérimentale proposée initialement par Fantz (1963) pour étudier les capacités perceptives des bébés. Elle consiste à présenter simultanément à une personne deux scènes visuelles qui diffèrent par une propriété - l’une située à droite d’un écran de présentation et l’autre à gauche de celui-ci - et à comparer le temps de regard sur chacune de ces scènes. En général, les deux scènes sont présentées de manière répétées en contrebalançant latéralement leur position à travers les différents essais. Si au cours de ceux-ci, la personne passe, en moyenne, plus de temps à regarder l’une des scènes, il est alors possible d’affirmer qu’elle a bien perçu une différence entre les deux stimuli présentés. En revanche, dans le cas où les deux scènes sont regardées autant l’une que l’autre (ou avec très peu de différence), il est impossible de conclure quant à une préférence éventuelle. Dans ce cas, nous ne pouvons donc pas savoir si les personnes perçoivent ou non une différence entre les deux stimuli visuels.

Les six compétences évaluées

1.    L’attention préférentielle au mouvement biologique

La première compétence évaluée est l'attention préférentielle au mouvement biologique, c'est-à-dire les mouvements produits par des organismes vivants vertébrés qui se caractérisent par des régularités dynamiques reflétant la structure et les schémas de contrôle du système musculosquelettique (Bardi et al., 2011). Pour l’étudier, Johansson (1973) a développé le « paradigme des points lumineux » (Point-Light paradigm) en plaçant stratégiquement des marqueurs lumineux sur les principales articulations d’un individu (neuf points : épaule gauche, coude gauche, poignet gauche, hanche gauche, genoux, chevilles et tête) marchant sur un tapis roulant dans l’obscurité. Il est ainsi parvenu à modéliser le mouvement de ce marcheur en une séquence de points lumineux se mouvant selon une locomotion humaine de marche qu’il pouvait ensuite présenter à côté d’un second nuage de neuf points bougeant de manière aléatoire (cf. Figure 1a) afin de tester la préférence pour le mouvement biologique (vs. non-biologique). Particulièrement sensible aux mouvements d'autrui, le système visuel humain parvient à traiter et discriminer le mouvement biologique de manière extrêmement rapide (100 millisecondes) (Johansson, 1973). En utilisant des paradigmes similaires, de très nombreux travaux ont confirmé et démontré la présence d’une préférence spontanée pour l'observation du mouvement biologique par rapport aux mouvements non-biologiques non seulement chez l’humain mais aussi chez un large éventail d'espèces animales (Salva et al, 2015). Par ailleurs, cette sensibilité apparait très tôt dans le développement : dès les premiers jours de vie, le nouveau-né humain s'oriente préférentiellement vers ce type de mouvements comme l’ont démontré Simion, Regolin, et Bulf (2008) avec leur étude princeps dont les résultats ont été retrouvés dans d’autres études proposant une grande variété de stimuli (Bardi et al., 2011; Bidet-Ildei et al., 2014).
Ensembles, ces données suggèrent l'existence d'un mécanisme perceptif précoce dédié au traitement et à la détection du mouvement biologique essentiel à la survie et qui facilite également l'interaction adaptative avec les autres êtres vivants. En effet, outre l'évidente valeur de survie immédiate que représente la détection des congénères dont les bébés dépendent, la discrimination des mouvements biologiques joue un rôle essentiel dans de nombreux aspects du développement social et communicatif. En dirigeant leur attention vers les mouvements d’autrui, les bébés créent des opportunités d'apprentissage des nombreux signaux sociaux véhiculés par le mouvement biologique. Ces signaux comprennent notamment les expressions faciales et la direction du regard mais également les intentions qui sous-tendent les actions d’autrui et la capacité d'attribuer des intentions aux autres.

2.    L’orientation sociale

Dans le prolongement de la compétence précédente, l’orientation sociale désigne l’orientation de l’attention lorsqu’elle est portée vers une personne ou vers un événement avec un contenu socialement pertinent (Mundy et Newell, 2007). Tout comme l’attention préférentielle au mouvement biologique, l’orientation sociale apparait très tôt dans le développement : dès la naissance, les nouveau-nés montrent une sensibilité particulière aux stimuli sociaux. Ils sont notamment particulièrement attirés par les personnes qui les entourent mais aussi par les sons, les mouvements et les caractéristiques du visage humain (Farroniet al., 2006). Cette préférence initiale pour les visages augmente entre 2 et 9 mois et corrèle avec les capacités d'orientation de l'attention et de recherche visuelle des bébés (Frank et al. 2014), ce qui suggère que les compétences d’attention visuelle constitueraient un facteur important pour favoriser l’orientation sociale au début du développement.
De plus, cette prédisposition à s'orienter préférentiellement vers l’environnement social a une importance cruciale dans le développement socio-communicatif (Franchini et al., 2016). En effet, en s'orientant vers des congénères, les bébés invitent à une interaction ultérieure, créant ainsi de riches possibilités d'apprentissage par le biais d'un engagement social réciproque. Ceci est appuyé par plusieurs études ayant testé l’orientation sociale d’enfants avec un trouble du spectre autistique (TSA) ou avec un retard de développement, en leur présentant simultanément une scène composée d’images sociales (p. ex., enfants en mouvement) à côté d’une scène non-sociale constituée d’images telles que des déplacements de formes géométriques (cf. Figure 1b). Les résultats montrent une altération de l'orientation sociale chez les enfants avec un TSA, un trouble du développement caractérisé par des déficiences sociales et communicatives (Pierce et al., 2011).

3.    L’exploration visuelle des visages

Au vu des éléments déjà abordés, il nous semblait indispensable de porter un intérêt particulier au stimulus social le plus saillant pour l'humain : les visages. Dès la naissance, le nouveau-né s'oriente préférentiellement vers les visages plutôt que vers tout autre objet : dès 9 minutes après la naissance, le nouveau-né est déjà sensible à la configuration schématique de visages (configuration « humanoïde ») (Goren et al., 1975). Quelques heures plus tard, il est capable de discriminer des visages très familiers, tels que celui de sa mère, de visages inconnus et ce même s’ils se ressemblent (Pascalis et al., 1995). A partir de 12 heures, il peut reconnaitre des visages qui ne lui sont pas familiers (auxquels il n’a été exposé que brièvement) (Turati et al., 2006). De plus, le regard joue un rôle très important dans l’intérêt précoce du nouveau-né pour les visages : celui-ci regarde davantage les visages ayant les yeux ouverts plutôt que fermés et préfère également regarder un visage dont les yeux sont dirigés vers lui plutôt que détournés (Farroni et al., 2006).
Les progrès technologiques en oculométrie permettent d'étudier plus précisément l'exploration visuelle des éléments faciaux internes (p. ex., yeux, nez, bouche) et externes (coiffure et mâchoire) et de démontrer qu'adultes comme enfants regardent la zone des yeux plus que tout autres traits du visage (Hunnius et al., 2011), préférence également retrouvée chez les bébés dès l’âge de trois mois (Dollion et al., 2015). Cette exploration particulière des visages joue un rôle fondamental dans le développement de la communication sociale : en plus de l’identité des individus, les visages nous apportent des informations relativement stables sur nos partenaires sociaux nous permettant de catégoriser une personne, même inconnue, selon différentes dimensions utiles dans les interactions sociales (comme le sexe, l’âge ou l’origine ethnique) mais également de pouvoir inférer l’état affectif et attentionnel d’autrui ainsi que leurs intentions grâce à l’analyse des caractéristiques faciales (pour une revue récente, voir Pascalis et al., 2020).

4.    Discrimination des expressions émotionnelles

Nous nous sommes ensuite intéressés à la discrimination des expressions émotionnelles. Le croisement des regards des professionnels et des familles a mis en lumière un besoin d’étudier si les enfants polyhandicapés percevaient une différence entre un visage exprimant la colère et le même exprimant la joie (cf. Figure 1c-d).
De très nombreux travaux ont étudié le développement typique de la discrimination des expressions faciales émotionnelles durant les premières années. L’analyse critique de l’ensemble des travaux (Bayet et al., 2014) montre l’existence d’une sensibilité aux changements d’expression faciale ainsi qu’une attirance pour les visages joyeux dès les premiers jours de vie. Cette dernière n’est toutefois pas systématiquement rapportée à cet âge-là car les capacités de discrimination des nouveau-nés sont limitées par leur faible acuité et expérience visuelles et modulées par plusieurs facteurs environnementaux p.ex. : familiarité, contrastes, intensité du stimulus) (Tanaka et Gordon, 2011). Cette préférence pour les visages souriants observée, dans des conditions spécifiques, dès la naissance, persiste et s’affine durant les premiers mois de vie. Entre 3 et 6 mois le bébé va progressivement être capable de différencier la joie d’autres expressions émotionnelles : à 3 mois, il discrimine l’expression de joie de la colère (fronçant les sourcils) et de la surprise ; il parvient ensuite à différencier la joie de la tristesse entre 3 et 5 mois et de la peur à 4 mois ; à partir de 5 mois, il est capable de distinguer la joie et les expressions neutres ainsi que la joie et la surprise. C’est seulement à partir de 6-7 mois que le bébé est capable de distinguer entre elles les expressions autres que le sourire (Bayet et al., 2014).

5.    L’attention conjointe

Nous nous sommes intéressés à la capacité à suivre le regard d'autrui en étudiant l'attention conjointe, définie comme le partage d’intérêt commun, de plusieurs personnes pour un même objet (Aubineau et al., 2015). Il s’agit d’un des premiers mécanismes qui permet à l’enfant de pouvoir échanger et apprendre (Mundy et Newell, 2007). Essentielle au développement de la communication non-verbale, cette compétence émerge très tôt : une relation dyadique entre le parent et bébé se met en place dès la naissance par des échanges mutuels du regard qui vont augmenter en quantité (nombre d’occurrences) et en qualité (intégration d’autres modalités de communication tels que des sourires, gestes ou vocalises) durant les premiers mois. Puis, entre 4 et 9 mois le bébé commence à initier des comportements d’attention conjointe spontanés visant à orienter l’attention d’autrui vers une cible précise (Mundy et al., 2007). Par la suite, les enfants diversifient l’utilisation de leur propre coordination visuelle afin de manifester des comportements de réponse à l’attention conjointe qui visent au partage attentionnel comme, par exemple, le fait de suivre le regard du parent afin de partager une même source d’intérêt.
Deux composantes de l’attention conjointe sont ainsi distinguées : l'initiation et la réponse à l'attention conjointe, dimension sur laquelle nous nous sommes concentrés. Franchini et al. (2017) ont proposé une tâche pour étudier le développement typique et atypique (enfants avec un TSA) des comportements de réponse à l'attention conjointe composée de séquences vidéo dans lesquelles une actrice dirigeait soudainement son attention vers l’un des deux objets identiques disposés devant elle en le regardant avec une expression intensément surprise (cf. Figure 1e). Les résultats montrent que les comportements d’attention conjointe étaient également altérés chez les TSA et soulignent l’importance majeure de cette compétence dans le développement socio-communicatif. En effet, à travers des échanges triadiques favorisant l’engagement dans les interactions sociales, l’attention conjointe est le précurseur du pointage, de l’intentionnalité et du langage.

6.    Les évaluations socio-morales

La dernière compétence, socio-morale, examine la capacité d'évaluer d'autres personnes selon leurs actions prosociales ou antisociales envers autrui (Hamlin et al., 2007). Bien que le jugement moral (étudié avec des taches verbales) connaisse un développement en stades qui s’étend de l’enfance à l’adolescence (Kohlberg, 1963), ses fondements pourraient se mettre en place très précocement. Ainsi, les bébés sont capables d’évaluer intuitivement certaines interactions sociales bien avant l’apparition de la conscience de soi, du langage et de la théorie de l’esprit (Kuhlmeier et al., 2014). En créant le paradigme de la colline (The hill paradigm ; cf. Figure 1f) dans lequel une marionnette escaladant une colline est soit aidée dans son action par un autre personnage (comportement prosocial) soit empêchée d’atteindre le sommet par un autre personnage la poussant en contrebas (comportement antisocial), Hamlin et al. (2007) montrent pour la première fois que les bébés sont davantage attirés (comportements d’approche, de préhension) par les actions prosociales dès 6 mois. En ajoutant une procédure de préférence visuelle à ce paradigme (cf. Figure 1g), ils observent que les nourrissons de 10 mois regardent davantage les agents prosociaux (Hamlin et al., 2007). Préférence que les auteurs ont, par la suite, mesurée dès l’âge de 3 mois avec ce même paradigme (Hamlin et al., 2010) mais aussi avec une tâche différente en observant qu’à 3 mois les bébés préfèrent une marionnette qui donne sa balle à un autre personnage à celle qui prend la balle de quelqu’un (Hamlin et Wynn, 2011).
La manifestation précoce de ces évaluations socio-morales met en évidence que les bébés sont capables d’interpréter la valence sociale de ces scenarii et d’exprimer une préférence envers les caractères prosociaux et s’orientant vers eux ou en les saisissant quand ils en ont l’opportunité. Néanmoins, les nombreuses études similaires menées ces dernières années révèlent des résultats variables (voir Holvoet et al., 2016 pour une revue).

Le paradigme expérimental

Le paradigme expérimental proposé aux enfants et adolescents polyhandicapés consiste en la présentation successive de divers stimuli visuels ordonnés de manière aléatoire, répartis en six « blocs » de contenu expérimental (chacun sous-tendant l'une des six compétences étudiées ; cf. Figure 1). Entre chaque bloc, une croix de fixation dynamique associée à un son stimulant est présentée au centre de l'écran jusqu'à ce que le participant la regarde. La présentation des six blocs est précédée d’un dessin animé d'ouverture de 30 secondes (pour attirer l'attention des participants sur l’écran) ainsi que d’une procédure de calibration (apparition d’un cercle blanc sur un fond noir à chaque position d'une grille de 2x3 points) et suivie d’un bref message de remerciement. La durée totale d'une séance est d'environ 5 minutes.

image20_qlEOoqmS.pngFigure 1. Illustration des différents "blocs" de contenu visuel composant le paradigme expérimental développé par Cavadini et al. (2022) pour étudier les compétences socio-émotionnelles de jeunes polyhandicapés.

A. Paradigme des points-lumineux, inspiré des travaux de Johansson (1973), évaluant l'Attention préférentielle au mouvement biologique. Cette tâche était composée de deux essais de 20 secondes entre lesquels la position latérale des deux stimuli (mouvements bio- et non-biologiques) sur l'écran était alternée.

B. Exemples de deux séquences vidéo évaluant l'Orientation sociale. Cette tâche comptait huit séquences vidéo similaires tirées de Franchini et al. (2016) et la durée de présentation de chacun de ces essais était de 5 secondes.

C‑D. Visages masculin et féminin (respectivement, références M17 et F22 de la KDEF de Lundqvist, Flykt et Ohman, 1998) exprimant la colère et la joie utilisés pour évaluer l'Exploration visuelle des visages humains ainsi que la Discrimination de ces expressions émotionnelles. Chacune de ces paires était présentée quatre fois 10 secondes.

E. Exemples de deux séquences vidéo évaluant l'Attention conjointe. Cette tâche comptait quatre séquences vidéo similaires tirées de Franchini et al. (2017) et la durée de présentation de chacun de ces essais était de 13 secondes.

F‑G. Paradigme de la colline, inspiré des travaux de Hamlin, Wynn et Bloom (2007), évaluant les Évaluations socio-morales. Le contenu de cette tâche se subdivisait en deux types de stimuli visuels. Elle débutait par la présentation successive de deux scènes de grimpe de 15 secondes (F) : dans l'une, le grimpeur était aidé dans la réalisation de son action par un autre personnage (ici le triangle jaune) alors que dans l'autre un troisième personnage (ici le carré bleu) l'empêchait de gravir la colline en le poussant en contrebas. Le rôle du triangle et du carré (comportement pro- vs. anti-social à l'égard du grimpeur) ainsi que l'ordre d'apparition des deux comportements étaient aléatoires. Ces séquences vidéo étaient suivies d'une scène de préférence visuelle (G) consistant à présenter le triangle à côté du carré lors de deux essais de 12 secondes pour contrebalancer leur position sur l'écran.

Les participants

Le paradigme a été testé auprès de neuf enfants et adolescents (six filles et trois garçons) âgés de 6 à 17 ans, polyhandicapés dans le sens où ils présentaient une déficience intellectuelle sévère et une déficience motrice grave dont l’intrication résultait d’une origine commune : un dysfonctionnement cérébral pouvant être dû à des causes très variées (Nakken & Vlaskamp, 2007). Trois types de situations de polyhandicap sont distingués selon la nature fixée, évolutive ou acquise de cette lésion causale d’origine (Unapei, 2016). Nous avons retrouvé ces trois étiologies chez nos participants. Parmi les polyhandicaps congénitaux fixes d'origine génétique, nous avons trois fillettes de 6, 8 et 9 ans avec respectivement une microcéphalie néonatale, un syndrome de Rett et un syndrome de Nicolaides-Baraitser associé à une malformation d’Arnold Chiari de Type I, ainsi qu’un adolescent de 17 ans avec un syndrome du chromosome 14 en anneaux (micro-délétion chromosomique). Nous avons également plusieurs cas d’encéphalopathies : une adolescente de 14 ans et un adolescent de 15 ans présentant des encéphalopathies épileptiques liées à des mutations génétiques alors que chez une autre adolescente de 13 ans, l'origine exacte n'avait pas encore pu être identifiée (encéphalopathie dite idiopathique). Un adolescent de 16 ans présente un polyhandicap congénital évolutif causé par une maladie neuro-métabolique (déficit en Décarboxylase des Acides Aminés Aromatiques, abrégé AADC). Enfin, une fillette de 8 ans a un polyhandicap acquis de nature accidentelle causé par une encéphalopathie hypoxique-ischémique et tétraparésie spastique post asphyxie résultant d'une mort subite du bébé, rescapée à l'âge de 4 mois (voir Cavadini et al., 2022 pour une description détaillée des profils individuels). Au regard de la diversité des étiologies du polyhandicap et donc de la variabilité qualitative des atteintes neurologiques, la comparaison inter-individuelle au sein de cette population semble peu pertinente. Par conséquent, une approche individuelle, considérant nos participants comme neuf « cas uniques », est plus appropriée pour tenir compte de l’aspect spécifique de la situation de vie de chacun et de l’hétérogénéité des profils de compétences.

La mise en application de notre paradigme expérimental nous a permis de mettre en évidence trois principaux résultats intéressants et inédits (Cavadini et al., 2022).

La faisabilité du paradigme

Plusieurs analyses soutiennent la faisabilité de paradigme expérimental. Tout d'abord, en calculant le taux de regard (temps passé à regarder l'écran par rapport à la durée de la séance expérimentale) de chaque participant à chaque séance effectuée, nous avons pu observer que, dès la première séance, sept d’entre eux avaient un taux de regard supérieur à 50 % (i.e. ils avaient passé plus de temps à regarder l'écran qu'ailleurs dans la pièce) et ce pourcentage tendait à augmenter à travers les séances chez tous les participants.

Nous avons ensuite procédé à des analyses portant, non plus sur le taux de regard total aux différentes séances réalisées, mais sur le temps passé à regarder chacun des six "blocs" qui composent le paradigme (pourcentage de temps de regard calculé en divisant le temps passé à regarder l'écran lors de la présentation de chaque bloc par la durée des différents blocs, sans tenir compte de leur contenu). Nous avons alors déterminé que les taux de regard des neuf participants ne sont pas influencés par l'ordre de présentation des différents stimuli visuels : aucun des six blocs présentés successivement n’est significativement plus regardé que les autres. Nous avons également testé si ces mêmes taux de regard diminuent au cours de la séance en comparant le temps passé à regarder les deux premiers blocs présentés avec le temps passé à regarder les deux derniers (blocs 5 et 6). La présence d’une diminution significative révélerait, dans ce contexte, un effet de fatigue témoignant d’une durée de passation inadaptée et supérieure aux compétences attentionnelles des participants. Aucun effet de fatigue n'a été mesuré, ce qui suggère que la durée de notre paradigme expérimental est adaptée aux capacités d’attention des participants, et ce malgré une importante variabilité inter-individuelle.

La dernière analyse a consisté à tester si une ou plusieurs tâches attirent significativement plus l'attention des participants (i.e. effet du contenu sur les taux de regard). Une fois encore, cette analyse n'a révélé aucun résultat significatif : les taux de regard individuels sur chaque bloc ne dépendent pas du contenu des tâches expérimentales.

Des profils individuels de compétences

Le second résultat concerne les compétences socio-émotionnelles évaluées à travers une préférence visuelle pour les stimuli socialement saillants de chaque tâche. De manière générale, notre paradigme s'est avéré être sensible en permettant de détecter des habiletés chez certaines personnes que ni les professionnels, ni l'entourage proche ne soupçonnaient. Néanmoins, les patterns de préférence visuelle manifestés par les participants en réponse aux différents stimuli sont caractérisés par une importante variabilité inter-individuelle : des préférences visuelles « attendues » sont mesurées chez certains tout comme des patterns inverses chez d'autres ou encore, dans la majorité des cas, des temps de regard statistiquement équivalents sur les deux scènes visuelles présentées simultanément. Il s’agit là de la principale limite de notre étude : comme expliqué plus haut, lorsque l'on ne mesure pas de différence significative dans les temps de regard, aucune conclusion ne peut être tirée car il n’est pas possible de déterminer si la personne a perçu une différence entre les deux scènes visuelles ou non. Malheureusement, nous avons parfois été confrontés à ce cas de figure étant donné que les participants avaient plus tendance à regarder les deux scènes visuelles de façon similaire plutôt qu’à manifester une préférence visuelle pour l’une d’entre elles, limitant ainsi l’interprétation de leurs résultats individuels.

Malgré cette limite, des résultats encourageants ont pu être relevés, notamment en comparant les patterns d’exploration visuelle individuels avec ceux d’enfants au développement typique. La tâche où l'on observe le plus de similitudes entre les deux populations est l'exploration visuelle des visages : tous les participants ont tendance à regarder davantage la zone des yeux que de la bouche et cette différence est significative chez quatre d'entre eux. Des résultats similaires ont également été obtenus pour la tâche d’orientation sociale où l’on observe une tendance à regarder davantage les scènes sociales chez sept individus avec une différence significative mesurée chez deux d’entre eux.

Des liens significatifs avec l'échelle d'observation « Évaluation-Cognition-Polyhandicap – ECP »

Le dernier résultat est la mise en évidence de liens entre les données oculométriques des personnes et leurs scores à différentes sous-échelles de l’ECP (Évaluation-Cognition-Polyhandicap), une échelle d’évaluation des compétences cognitives pour personnes polyhandicapées développée par Poujol et al. (2021). Cette échelle francophone est un outil d'observations croisées entre parents et professionnels ne conduisant pas à évaluer les performances par rapport à une norme mais à établir des profils de compétences permettant, par la mise en regard des observations directes (mise en situation) des différents évaluateurs et de leurs connaissances et souvenirs individuels (observations indirectes), une meilleure appréhension des compétences cognitives de la personne polyhandicapée. L’ECP comprend huit sous-échelles évaluant les capacités sensorielles, attentionnelles, mémorielles, communicatives, spatio-temporelles, de raisonnement, d'apprentissage et les compétences socio-émotionnelles à travers un total de 62 items. La cotation de chaque item est la suivante : « 0 » (comportement impossible pour la personne en situation de polyhandicap en raison de ses déficiences motrices et/ou sensorielles ou pour lequel l'évaluateur ne peut se prononcer avec certitude), « 1 » (comportement jamais observé et/ou pas acquis en raison des déficiences cognitives), « 2 » (comportement rarement observé et/ou en cours d’acquisition), « 3 » (comportement souvent observé et/ou en cours d’acquisition), « 4 » (comportement systématiquement observé et/ou totalement acquis).

Dans notre étude, le profil de compétences de chaque participant avait été établi en recueillant les observations parentales (selon les situations familiales, les questionnaires avaient été complétés soit par les deux parents soit par un seul d'entre eux) ainsi que celles d’une psychologue (voir Cavadini et al., 2022 pour le détail des profils individuels).

Parmi les différentes compétences évaluées par l'ECP, nous avions émis les hypothèses selon lesquelles (a) la sous-échelle consacrée aux capacités attentionnelles serait liée aux taux de regard aux différentes séances effectuées (i.e. proportion de temps passé à regarder l'écran par rapport à la durée de la séance) et que (b) la sous-échelle évaluant les compétences socio-émotionnelles corrélerait avec les capacités à discriminer les différents types de stimuli appariés. Ces capacités de discrimination ont été quantifiées en calculant les scores de différence individuels à chaque tâches expérimentales en soustrayant au temps passé à regarder les stimuli de type A (i.e., ceux supposés attirer davantage l'attention tels que le mouvement biologique, les stimuli socialement saillants, la zone des yeux, etc.), le temps passé sur les stimuli de type B (i.e. ceux qui devaient, théoriquement, être moins attrayants tels que le mouvement non-biologique, les scènes non-sociales, la zone de la bouche, etc.). Plus ce score était élevé, plus les deux types de stimuli étaient discriminés alors qu'il était proche de zéro lorsqu'ils avaient été autant regardés l'un que l'autre ou avec très peu de différence.

Les analyses corrélationnelles alors effectuées ont tout d'abord montré que les scores obtenus à la sous-échelle de l'attention de l'ECP (évaluée à travers sept items tels que « Oriente volontairement son attention vers un objet qui l'intéresse », « Maintient son attention de manière soutenue ») corrélaient significativement avec les taux de regard enregistrés lors des séances expérimentales : les jeunes polyhandicapés qui regardaient davantage l'écran durant celles-ci (vs. ailleurs dans la pièce) avaient également tendance à obtenir un score élevé à la sous-échelle mesurant les capacités attentionnelles de l'ECP.

En ce qui concerne la seconde hypothèse, les analyses ont révélé que seule la capacité à discriminer les objets d'attention conjointe (temps sur les objets regardés par l'actrice vs. temps sur les objets non-regardés par celle-ci) corrélait significativement avec le score obtenu aux dix items de la sous-échelle de l'ECP évaluant les compétences socio-émotionnelles (p. ex. « Est capable de s'adapter aux émotions qu'elle perçoit chez les autres » ou encore « Prête attention à une activité en même temps qu'une autre personne »).

Pour conclure, ces résultats sont très prometteurs : ensembles, ils montrent qu’il est possible de recourir à des tâches développées initialement pour étudier les compétences précoces des bébés, pour évaluer le développement socio-émotionnel de personnes polyhandicapées. Malgré certaines limites méthodologiques, nous avons pu montrer que le paradigme expérimental proposé est suffisamment sensible pour permettre d’établir des profils de compétences individuels, apportant ainsi une contribution au développement de nouvelles méthodes pour mieux évaluer cette population.

Par ailleurs, cette première étude nous a permis de mettre en évidence certaines limites dans la conception de notre paradigme. L’exemple le plus flagrant concerne la tâche évaluant l’attention cointe. Cette dernière se distinguait des autres pour deux raisons. La première concerne le fait que nous ne mesurions le regard des participants que lorsqu’il était dirigé sur des endroits précis et restreints de l’écran (i.e. les deux objets disposés devant l’actrice) définis en tant que « zones d’intérêt » (Areas of interest ; AOIs). Alors que pour la majorité des tâches nos AOIs recouvraient la totalité de l’écran (chacun des deux stimuli présentés par paire occupait une moitié d’écran à l’exception des visages émotionnels dont les yeux et la bouche étaient délimités par de petites AOIs), les temps de regard mesurés à l’attention conjointe étaient considérablement plus faibles puisque seuls ceux sur une surface restreinte de l’écran n’étaient enregistrés. A cela s’ajoute le fait qu’une troisième zone de l’écran devait avoir été regardée pendant au moins 300 millisecondes pour que les temps sur chacun des deux objets soient inclus dans les analyses : il s’agit du visage de l’actrice (délimité par une AOI de la même taille que celles des deux objets) étant donné que la direction de son regard et son expression de surprise étaient les seuls indices permettant de différencier les deux objets identiques. Un grand nombre de données ne satisfaisant pas cette condition avaient, par conséquent, été exclues des analyses. Forts de ces constations, nous avons apportés différentes modifications à certaines tâches. Dans ce cas, par exemple, l’espace vide qui entourait la table et l’actrice a été rogné des vidéos de manière zoomer sur la scène agrandissant ainsi les différentes AOIs.

La version révisée du paradigme a été testée avec échantillon de 86 enfants au développement typique âgés de 1 à 3 ans. Bien que les résultats de cette nouvelle étude ne soient pas encore publiés (manuscrit soumis), ils démontrent les apports et le bien-fondé des modifications apportées, révélant des analyses plus robustes que précédemment et une perte de données considérablement réduite. Ces nouveaux résultats sont d’autant plus pertinents au regard de la poursuite de la recherche que nous menons avec les participants polyhandicapés. En effet, l’étude présentée en amont s’inscrit dans un projet de recherche plus large s’articulant autour de buts principaux. Si le premier concernait la conception d’un paradigme original et adaptés pour contribuer à l’évaluation des compétences socio-émotionnelles de personnes polyhandicapées, la prochaine étape de ce projet vise à soutenir les compétences individuelles par la mise en œuvre de séances d’entrainement pendant une année (1 à 3 séances de maximum 20 min par semaine). Chacune de ces séances est spécifiquement construite de manière à tenir compte des compétences individuelles et de l’état affectif et attentionnel de chaque participant au moment de les réaliser. Le chercheur ou l’éducateur choisi ainsi parmi une palette de « serious games » issus de logiciels conçus dans le cadre ce projet de recherche, les activités qui lui semblent les plus pertinentes pour travailler habiletés socio-émotionnelles individuelles.

L’intégralité de ces contenus seront diffusés en libre accès au terme de l’étude, ceci dans le but de contribuer à répondre au besoin souligné par Scelles (2021) consistant à diffuser davantage les travaux et démarches méthodologiques concernant l’examen psychologique des personnes polyhandicapées au sein de la communauté scientifique et professionnelle « afin que les connaissances de cette population puissent se développer en se nourrissant de ce qui se fait en France et à l’étranger sur ce thème ».

Dans cette section, différents 'Serious games' développés spécifiquement pour soutenir les compétences socio-émotionnelles de jeunes en situation de polyhandicap seront bientôt disponibles en accès libre.

·         L'Ascension de la Colline

Un serious game destiné à entrainer les compétences socio-morales d’enfants en situation de polyhandicap via la commande oculaire

 

L'Ascension de la Colline a été développé Par Roméo Gola dans le cadre d’une thèse de doctorat en psychologie (Laboratoire SMAS – FPSE – Université de Genève) étudiant les compétences sociales et émotionnelles d’enfants en situation de polyhandicap à travers leurs mouvements oculaires. S’inspirant de la situation expérimentale de la colline (“hill paradigm”) proposée par Hamlin, Wynn et Bloom (2007) pour mesurer les prémisses du jugement moral chez les nourrissons, ce jeu vise à sensibiliser les joueurs au comportement prosocial. Face à un personnage tentant de gravir une colline, l’utilisateur peut décider de l’empêcher ou de l’aider à accomplir son action en actionnant l’un des deux autres personnages situés en amont (action « anti-sociale ») versus en aval (action « pro-sociale ») de la montagne.
Ce logiciel a été développé pour être utilisé avec un dispositif de suivi oculaire (eye-tracking) remplaçant la souris de manière à être accessible à des personnes présentant une déficience motrice sévère.

Principe du jeu :

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À l’aide du paradigme original, Hamlin et collègues (2007) ont mis en évidence une sensibilité précoce chez les bébés (dès 6 mois) lorsqu’ils observent des interactions positives ou négatives de deux personnages représentés par de simples formes géométriques avec des yeux : non seulement les bébés interprètent la valence sociale du scénario, mais ils expriment une préférence envers les caractères prosociaux et s’orientent vers eux quand ils en ont l’opportunité (e.g., tentent de saisir l’une des deux formes qu’ils ont vu interagir).
Sur la base de ces éléments théoriques, nous avons émis l’hypothèse que les enfants en situation de polyhandicap devraient être également capables d’évaluations morales implicites de ce type malgré la sévérité de leurs déficiences cognitives. L'Ascension de la Colline a ainsi été spécifiquement développé dans le but d’entrainer les compétences socio-morales de ces enfants via la commande oculaire.


Ressources à télécharger :

·         Decriptif et conception du jeu

·         Fonctionnement et feuille de passation

·         Lien de téléchargement : https://drive.switch.ch/index.php/s/CmfOT51uI2PZYy1

 

 

·         Attention Eye

Un jeu destiné aux enfants en situation de polyhandicap visant à renforcer leur capacité à interagir avec leur environnement à travers l'entrainement de plusieurs compétences socio-émotionnelles

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Le jeu s’inscrit dans le cadre d’un doctorat réalisé par Thalia Cavadini à la Faculté de Psychologie de l’Université de Genève ; il sera utilisé dans le cadre d’une étude de cas menée auprès d’enfants atteints d’un handicap mental et physique sévère. Sachant que les utilisateurs cibles sont souvent incapables d’exprimer verbalement leurs préférences et leurs opinions, Attention Eye leur permet de communiquer et de modifier leur environnement uniquement par le regard.

Dans sa forme finale, le jeu est pensé pour être utilisé avec un eye-tracker. Pour faciliter la démonstration, la présente version utilise la souris : au lieu de regarder un élément pour le « choisir », il suffit de le survoler avec la souris pendant quelques secondes. Il n’est pas nécessaire de cliquer (sauf pour éventuellement régler les paramètres au début).

Ce jeu a été développé par des étudiants du Master of Learning and Teaching Technologies (MALTT) dans le cadre du cours Jeux Vidéo Pédagogiques (VIP) qui aborde le domaine sur les plans théorique et pratique, en amenant les participants à adopter une démarche critique et créative. Il vise l’apprentissage de l’analyse et de la conception de jeux vidéo destinés à l’apprentissage. Pour cela, il s’appuie essentiellement sur une pédagogie par projet, dans laquelle les étudiants sont amenés à concevoir un jeu de A à Z afin de répondre au besoin réel d’un commanditaire.

Plus d'informations sur ce logiciel sur la page web de l'Unité TECFA de l'Université de Genève : https://tecfa.unige.ch/jeux/attention-eye/


Ressources à télécharger :

·         Descriptif et conception du jeu

·         Feuille de passation

·         Lien de téléchargement : https://tecfaetu.unige.ch/etu-maltt/aegir/elhamde0/vip/attention_eye/exe_attention_eye.zip