Apprentissages scolaires

Apprentissage de l’écriture

Ecrire permet d’exprimer la pensée au moyen d’un système conventionnel de symboles générés sur un support par des mouvements du système bras-main. C’est une activité quotidienne qui demande peu de ressources cognitives chez l'adulte parce que son fonctionnement est automatisé. En conséquence, nous oublions que c'est une activité complexe qui nécessite la maîtrise et la coordination d’habiletés diverses, cognitives, perceptives et motrices. Plusieurs niveaux d'étude de l'écriture, qui se distinguent par la taille des unités prises en compte, peuvent être considérés. Le tracé de lettres permet d'étudier les aspects perceptivo-moteurs mis en œuvre dans l'écriture, la production de mots permet l'étude des processus orthographiques, et la production de textes permet d’évaluer la manière dont un sujet va transcrire un message sous forme écrite. Apprendre à écrire consiste globalement à acquérir une représentation visuelle de la lettre, qui guide sa production, et une représentation motrice, spécifique à chaque lettre. Cette acquisition se fait lentement et pose de nombreuses difficultés aux jeunes enfants. Ainsi, plusieurs années d'apprentissage sont nécessaires pour qu'ils parviennent à une certaine maîtrise de cette habileté et la graphie de certaines lettres reste difficile à acquérir jusqu’en troisième année d’école élémentaire. L’enseignement de l’écriture fait partie des apprentissages fondamentaux de l’école élémentaire. Toutefois, dès l’école maternelle, l’enfant acquiert des compétences nécessaires à l’acte graphique, il est sensibilisé à l’écriture et apprend à écrire son prénom en lettres majuscules, scriptes et cursives, à copier quelques mots, à écrire sur une ligne puis progressivement entre deux lignes. Nous allons voir maintenant pourquoi il est important que les enfants apprennent à bien tracer les lettres (cf. Bara & Gentaz, sous presse).

De l’utilité d’apprendre à bien tracer les lettres

Ecriture et lecture

L’apprentissage du tracé de lettres est étroitement lié à l’apprentissage de la lecture. La lecture et l’écriture se développent en parallèle et s’influencent mutuellement. En effet, la lecture et l’écriture se fondent au début de l’apprentissage sur un ensemble de connaissances et de processus communs ou en très forte interaction, comme par exemple les connaissances du système alphabétique. Dès le début de l’apprentissage de l’écrit, les enfants pourraient se servir des représentations motrices des lettres pour construire leurs représentations visuelles. Ainsi, Naka (1998) montre, chez des enfants japonais de troisième et de cinquième années de primaire, que la mémorisation de lettres est meilleure lorsque les enfants les apprennent en les écrivant que lorsqu’ils les voient. Il montre également que c’est l’utilisation du geste moteur qui permet une meilleure mémorisation et non pas l’apprentissage du sens de production des traits. En effet, même lorsque les enfants écrivent les lettres dans le sens inverse ou produisent les traits dans un ordre aléatoire, ils les mémorisent mieux que s’ils les voient simplement. Dans le même sens, Longcamp et al. (2005) ont fait apprendre à des enfants de maternelle, âgés de 3 à 5 ans, 12 lettres majuscules, soit à partir d’exercices d’écriture manuscrite, soit à partir d’exercices d’écriture au clavier. Les enfants ont été évalués au moyen d’un test de reconnaissance de lettres, qui consistait à discriminer les lettres étudiées parmi des distracteurs de trois types ; des lettres en miroir, des lettres ayant la même orientation mais la mauvaise forme (parties enlevées), et des lettres ayant la mauvaise orientation et la mauvaise forme. Les résultats montrent que la reconnaissance des lettres est meilleure quand les enfants les ont appris en utilisant l’écriture manuscrite. Cette amélioration est due à une diminution des erreurs de perception des lettres en miroir. Les auteurs concluent que la perception visuelle des lettres est facilitée si on y associe la perception kinesthésique. Renforcer les liens entre ces deux compétences (perceptives et motrices) améliorerait la mémorisation des lettres et pourrait permettre de favoriser la compréhension du principe alphabétique chez les jeunes enfants. Les méthodes multisensorielles s’appuient sur l’existence d’un lien fort en l’écriture et la lecture et supposent que renforcer ce lien permettrait d’améliorer les compétences en lecture des enfants.

 

Ecriture de lettres et production de textes

Les différents niveaux de la production écrite (production de lettres, de mots, et de phrases) sont interdépendants et s’influencent mutuellement. Le fonctionnement des différentes composantes de l’écriture s’effectuerait en temps réel lors de la production de textes, sous la contrainte d’une capacité limitée de traitement. Ainsi, l’élaboration du contenu, la réalisation textuelle et la transcription puiseraient dans les mêmes ressources cognitives. Plusieurs études mettent en évidence le « coût cognitif » du processus grapho-moteur et les interférences qu’il induit sur les processus de construction et de génération des textes écrits. Ainsi, la qualité d’un texte est meilleure quand les enfants dictent leur production à une autre personne que lorsqu’ils l’écrivent eux-mêmes (Graham, 1990). De même, les enfants parviennent mieux à rappeler l’information et à produire des phrases à l’oral qu’à l’écrit (Bourdin et Fayol, 2000). Le processus de transcription du langage oral à l'écrit demanderait un coût cognitif important aux enfants et donc interfèrerait avec le processus de composition de texte. Les études qui évaluent les effets des entraînements sur le niveau d'écriture permettent également de mettre en évidence un lien entre le tracé de lettres et la production de textes. Ainsi, Graham, Harris, et Fink (2000) ont évalué les effets d’une instruction supplémentaire sur les performances en tracé de lettres et en composition de textes chez des enfants de 1ère année d’école élémentaire ayant des difficultés d’écriture (écriture lente, difficultés dans la production écrite de textes). L’entraînement était composé de quatre activités. Les enfants chantaient l’alphabet en même temps qu’ils pointaient les lettres correspondantes. Puis, ils devaient tracer la lettre à partir d’un modèle dessiné sur une carte (la lettre était présentée avec des flèches pour indiquer le sens de l’écriture). Ils devaient ensuite copier une phrase contenant plusieurs exemplaires de la lettre-cible. Enfin, ils apprenaient à écrire la lettre d’une manière inhabituelle (longue et grande, courte et large) ou à l’utiliser comme partie d’un dessin. Les performances du groupe expérimental étaient comparées aux performances d’un groupe-contrôle qui recevait un entraînement phonologique. Les résultats montrent que les enfants du groupe expérimental ont obtenu de meilleures performances pour nommer et écrire les lettres que ceux du groupe-contrôle, immédiatement après l’entraînement et 6 mois plus tard. Ils présentent également de meilleures performances en composition de textes (mais essentiellement pour la rapidité de production écrite).

En résumé, ces expériences suggèrent que les aspects liés à la programmation et à l'exécution motrice (évalués par exemple par la vitesse du tracé de lettres isolées) sont liés de manière causale aux aspects de composition et de génération de textes écrits, et soulignent l’importance pour l’enfant d’acquérir un tracé fluide et automatique.

L’entraînement visuo-haptique

L’enseignement de l’écriture a pour premier objectif de montrer aux enfants comment reproduire les lettres selon un modèle. L’enfant doit être capable de percevoir non seulement la forme du modèle mais également la déviation de sa propre production par rapport au modèle. Les programmes d’intervention permettent d’automatiser les aspects moteurs de l’écriture, en proposant différents exercices spécifiques, de façon à ce que les ressources de la mémoire de travail soient libérées pour les aspects linguistiques de l’écriture.

Une interface, appelée « Télémaque », qui utilise un bras robot à retour d’effort a été mise au point dans le but d’améliorer la fluidité des mouvements d’écriture. Ce bras robot peut guider le stylet et ainsi contrôler non seulement la forme mais également la dynamique du mouvement d’écriture. Cette interface permet d’apprendre aux enfants à reproduire une lettre selon un standard qui n’est pas seulement statique (forme correcte) mais aussi dynamique (règles de production motrice, cf. Viviani, 1994). Les détails mathématiques sont publiés dans (Hennion et al. 2005), en particulier le fait que la triple continuité en chaque point de contrôle permet de bâtir une fonte compatible en tout point avec les lois psychophysiques observées chez les adultes (cf. Viviani, 1994).

Trois exercices ludiques, utilisant l'interface, ont ainsi été crées : (1) le jeu du circuit dans lequel l’enfant doit reproduire la lettre en restant à l’intérieur d’un rail plus ou moins large, (2) le tracé dynamique dans lequel le bras robot guide le stylet dans des mouvements spatiaux et dynamiques qui dessinent les contours de la lettre et le (3) la reconnaissance des lettres sans feedback visuel. Ce programme a pour objectif d’améliorer non seulement la perception visuelle de la lettre mais aussi l’acte moteur qui doit être produit pour écrire la lettre.

Deux expériences ont été mises en place afin d’évaluer les apports de Télémaque chez des enfants d’âges différents. La première a eu pour but de tester les effets d’un entraînement, utilisant cette interface, chez des enfants de première année de primaire, âgés de 6-7 ans (Palluel-Germain, et al., 2006). La deuxième s’est intéressée à l’évaluation de Télémaque auprès d’enfants plus jeunes, âgés de 5-6 ans, moins expérimentés dans l’acte de tracer des lettres (Palluel-Germain, et al., 2007). Le principe général de cette évaluation est de comparer les effets d’un entraînement utilisant Télémaque aux effets d’un entraînement « contrôle », similaire mais n’utilisant pas l’interface, sur l’écriture de lettres (rapidité et fluidité des tracés). L’entraînement visuo-haptique comprenait quatre exercices, deux communs avec l’entraînement contrôle (un exercice de coloriage d’une lettre, et un puzzle de lettre composé de 4 pièces) et deux spécifiques avec Télémaque (le jeu du circuit et le tracé dynamique). L’entraînement contrôle comportait deux exercices spécifiques, un de copie de la lettre et de jugement de la qualité gloabel du tracé et un autre de copie de phrase avec un clavier d’ordinateur.

Dans la première expérience, 22 enfants de première année de primaire (6/7 ans) ont été soumis à trois phases (de janvier à mai de l’année scolaire). Lors de la première phase, nous avons demandé aux enfants d’écrire 4 lettres cursives (b, f, k, s) sur une tablette graphique, nous permettant ainsi de mesurer des indices tels que le temps de mouvement ou la forme des tracés. Par ailleurs, lors de cette première phase, chaque enfant passait le test des carrés du WIPSI (niveau de performance non verbale). A la suite de cette première phase étaient constitués, sur la base de ces tests et sur l’âge, deux groupes d’enfants équivalents. Lors d’une seconde phase (phase d’entraînement) les enfants étaient ainsi, soit dans un groupe utilisant Télémaque (T) soit dans un groupe Contrôle (C). Lors de cette phase, une lettre spécifique (b, f, k, s) était entraînée pendant chaque intervention (une par semaine). Concernant l’entraînement du groupe T, les enfants étaient assis confortablement et devaient tenir naturellement le stylo de l’interface visuo-haptique (voir figure 3). Un moniteur placé horizontalement retransmettait simultanément les lettres générées par Télémaque et un moniteur placé face à l’expérimentateur permettait de contrôler les exercices de l’interface. Lors de chaque intervention les enfants réalisaient les trois exercices générés par Télémaque : 1) le jeu du circuit : l’enfant devait reproduire 8 fois la lettre en restant à l’intérieur d’un rail plus ou moins large (voir figure 4, ici Télémaque force l'enfant à rester à l'intérieur des rails avec une force pouvant être réglé par l'expérimentateur) , 2) le tracé dynamique : le bras robot guidait le stylo de l'enfant dans des mouvements spatiaux et dynamiques qui dessinent les contours de la lettre (l'enfant réalisait cet exercice 5 fois) , 3) la reconnaissance de lettres sans feedback visuel : l’enfant avait les yeux bandés et devait reconnaître la lettre générée par l’interface. Parallèlement, les enfants du groupe C devaient colorier et réaliser un puzzle représentant la lettre cible entraînée lors de l'intervention. Dans la troisième phase (deux semaines après cette phase d'entraînement), l’ensemble des enfants devaient écrire les 4 lettres cibles (b, f, k, s) sur une tablette graphique, comme dans la première phase. Nous avons analysé le temps de mouvement réalisé pour chaque lettre ainsi que le nombre de pics de vitesse. Ces indices permettent d’examiner la fluidité du mouvement : plus le mouvement est fluide et rapide moins le nombre de pics de vitesse est important.

Les résultats montrent tout d'abord que les enfants du groupe ayant été entraînés avec Télémaque tracent les lettres avec un temps de mouvement moins long au post-test par rapport à leur niveau de base (pré-test) et un mouvement plus fluide (le nombre de pics de vitesse est moins important lors du post-test). En revanche, les enfants du groupe contrôle (n'ayant pas été entraînés avec Télémaque) ne montrent pas de différence statistiquement significative entre le pré- et le post-test en ce qui concerne le temps de mouvement et le nombre de pics de vitesse.

Le but de la seconde expérience était de voir si Télémaque pouvait être bénéfique chez des enfants qui débutent dans le tracé de lettres cursives et avec un plus grand nombre d'enfants et un plus grand nombre de lettres. Après avoir testé 42 enfants lors d'une première phase (pré-test), 21 enfants étaient entraînés avec Télémaque et 21 enfants étaient assignés à un groupe contrôle (lettres cibles entraînées : a, b, f, i, l et s). Les résultats montrent une amélioration des performances entre le pré- et le post-test pour les enfants du groupe Télémaque par rapport à ceux du groupe contrôle: leur vitesse d'écriture est plus rapide et le nombre de lever de crayon diminue, témoignant d’un mouvement plus fluide.

En résumé, l’ensemble de ces premiers résultats montre que l’utilisation de Télémaque est bénéfique dans l’apprentissage du tracé des lettres chez des enfants « expérimentés » en CP mais également chez des enfants débutants (GSM ; 5/6 ans) dans le tracé de lettres. Télémaque permettrait à l'enfant d'incorporer des lois de production motrice, en aidant les enfants à passer d’une stratégie de contrôle rétroactif à une stratégie de contrôle proactif.

La fin de l'écriture manuscrite?

Ecoutez l'émission Tribu de la RTS du 02.09.2016

La fin de l'écriture manuscrite?

" Les claviers et les portables auront-ils finalement raison de lʹécriture manuscrite? Dans certains pays, lʹapprentissage de lʹécriture cursive est devenu facultatif. Mais peut-on définitivement se passer de lʹécriture manuscrite? Quel serait lʹimpact sur lʹapprentissage en général et de la lecture en particulier?

Nous en parlons avec Edouard Gentaz, spécialiste du développement sensorimoteur à la Faculté de psychologie et des sciences de lʹéducation (FAPSE) de Genève. "