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Conférence de compositeurs, critiques musicaux et exécutants (décembre 1952-janvier 1953)a

Motifs et objectifs

L’un des faits les plus frappants de la vie musicale actuelle en Europe, c’est que des œuvres de compositeurs célèbres de la génération précédente figurent à tous les répertoires, tandis que celles des compositeurs de la jeune génération sont presque uniquement jouées dans leur pays d’origine. Les jeunes compositeurs américains connaissent rarement ce que font leurs confrères européens ; la situation est la même pour les jeunes compositeurs des différents pays européens. De plus, les compositeurs, qui avant la guerre avaient de nombreuses occasions de se rencontrer et d’établir des contacts internationaux, en sont pratiquement privés aujourd’hui.

Cette situation tend à créer un esprit de provincialisme parmi les jeunes et les amène à dépendre plus étroitement des traditions et techniques de leurs prédécesseurs immédiats. Exécutants et orchestres hésitent à présenter des œuvres de jeunes compositeurs étrangers, si ce n’est pour des raisons de prestige ou des motifs extra-musicaux.

La situation de la critique musicale d’après-guerre est également peu satisfaisante du point de vue international. Peu de critiques ont la possibilité d’apprécier les jeunes compositeurs étrangers, puisqu’ils ne sont pratiquement pas joués. De nombreux problèmes de critique musicale, qui devraient être discutés sur un plan international, restent sans réponse : ainsi la relation entre les techniques musicales contemporaines et la qualité des nouveaux publics populaires, ou le rôle du critique qui est d’interpréter ces techniques et les nouvelles œuvres basées sur elles.

En outre, les critiques musicaux ne peuvent que très rarement rencontrer de jeunes compositeurs et établir ainsi avec eux une base de compréhension et de collaboration.

Tels sont entre autres les motifs qui ont amené le Centre européen de la culture à élaborer le projet d’une conférence internationale de compositeurs, critiques musicaux et exécutants. Elle aura lieu au printemps 1954, à Rome. Ses buts sont les suivants :

[p. 9] 1. Donner l’occasion à de jeunes compositeurs de faire jouer et apprécier leurs œuvres.

L’atmosphère internationale de cette rencontre contribuera à combattre l’esprit de provincialisme qui gêne le développement de la musique contemporaine.

2. Enrichir le répertoire international (orchestres, opéras et solistes) de nouveaux noms et nouvelles œuvres.

3. Créer un lieu de rencontre où compositeurs, critiques et exécutants puissent jouir des mêmes contacts personnels dont les représentants d’autres domaines artistiques profitent depuis de nombreuses années.

Organisation

Le Centre européen de la culture invitera à Rome 75 à 100 personnes (compositeurs, critiques musicaux et exécutants) de différents pays d’Europe et d’Amérique, pour participer pendant 8-10 jours à un cycle de conférences, discussions, forums et concerts de musique contemporaine et ancienne.

Un comité exécutif, composé d’amis du Centre, de compositeurs, chefs d’orchestre, critiques musicaux et musicologues, dressera des listes, d’après lesquelles seront choisis les hôtes de cette rencontre.

Le Centre a constitué un Comité d’honneur international qui comprend des compositeurs de renommée mondiale. Ont déjà accepté d’y participer MM. Igor Stravinsky, Samuel Barber, Benjamin Britten, Carlos Chavez, Luigi Dallapiccola, Arthur Honegger, Francesco Malipiero, Frank Martin, Darius Milhaud, Virgil Thomson. Secrétaire : Nicolas Nabokov.

Des « paying guests » seront admis, mais ne participeront pas aux discussions. Les étudiants en musique obtiendront des conditions spéciales et des tarifs réduits.

Les concerts symphoniques et de musique de chambre seront publics.

Programme

Les participants seront invités à rédiger des rapports, à participer aux discussions publiques, aux groupes de travail, et aux différents concerts.

Au cours de cette rencontre auront lieu quatre concerts symphoniques et trois concerts de musique de chambre, au cours desquels seront exécutés :

[p. 10] a) des œuvres de jeunes compositeurs européens et américains,

b) des œuvres rarement jouées de compositeurs célèbres contemporains,

c) des œuvres contemporaines négligées à tort,

d) quelques œuvres anciennes qui ont considérablement influencé le développement de la musique au cours des 25 dernières années.

Certaines de ces œuvres seront enregistrées, afin que les participants puissent les entendre plusieurs fois.

Une collection de partitions de musique ancienne et moderne sera mise à la disposition des participants.

Tous les textes des conférences seront soumis un mois avant la rencontre et distribués aux participants à leur arrivée afin de servir de base aux discussions.

Le Comité consultatif musical du Centre décidera des thèmes des conférences et discussions.

Le Congrès pour la liberté de la culture décernera au cours de cette rencontre trois Prix internationaux aux trois meilleures œuvres qui auront été commandées à 12 jeunes compositeurs. Le règlement de ces prix fera l’objet d’un communiqué dans notre prochain bulletin.

Le comité exécutif de la Conférence internationale de musique et du Concours international de composition s’est réuni pour la première fois, au CEC, le 13 janvier 1953, sous la présidence du directeur du Centre.

Étaient présents : MM. Boris Blacher, Luigi Dallapiccola, Frederick Goldbeck, Igor Markevitch, Nicolas Nabokov, Henri Sauguet. Excusé : M. Virgil Thomson.

M. Nabokov fait un exposé général du plan de distribution des prix, ainsi que des accords en cours de négociation avec la RAI (Radiodiffusion nationale italienne). D’après ces derniers accords, tous les frais d’exécution (concerts, solistes, enregistrement) seraient à la charge de la RAI.

Dates fixées pour l’attribution des prix au cours de la Conférence internationale de musique : du 5 au 11 avril 1954, à Rome.

Le Comité procède ensuite au choix préliminaire des 12 compositeurs auxquels des œuvres seront commandées. Pour la plupart d’entre eux, des remplaçants ont été suggérés. L’ensemble de ces noms (une vingtaine) sera proposé à bref délai aux membres du Conseil musical. Dès que ces derniers auront donné leur accord, [p. 11] des lettres personnelles seront envoyées à chacun des 12 compositeurs retenus.

Sur proposition de MM. Nabokov et de Rougemont, le comité exécutif fonctionnera à la fois pour l’ensemble de la Conférence internationale de musique et pour le Concours de composition.

Il est convenu que les débats de la Conférence seront conduits de la manière suivante : le président désigné pour chaque séance fera préparer 2 ou 3 communications, et s’entendra avec 2 ou 3 autres participants du séminaire pour qu’ils interviennent dans la discussion. Après quoi les auditeurs pourront prendre la parole. Le public pourra être admis dans les tribunes à certains des débats au moins.

D’une manière générale, il s’agirait d’étudier les rapports entre la libre expression individuelle et les disciplines, entre la technique et le style, etc., ainsi que le problème du langage commun.

Après une vive discussion, le titre suivant, proposé par M. Markevitch, est retenu : « Les Droits de l’Auteur ». Cinq thèmes principaux qui peuvent tous êtres subordonnés à ce titre général sont proposés par les membres du comité exécutif et retenus en principe (le Centre est chargé de leur donner une formulation définitive) :

1. Musique et politique.

2. La fonction musicale crée-t-elle encore ses organes ?

3. Technique, style, esthétique.

4. L’influence de l’opéra moderne sur le développement du langage musical.

5. Qu’est-ce qu’un bon programme ?