Campagne pour l’Europe des citoyens (septembre 1964)a
L’Europe commence par l’organisation : Conseil de l’Europe, Marché commun. Mais elle ne deviendra vivante que par les citoyens qui la vivront, conscients de leurs devoirs envers ce grand ensemble qui est leur civilisation et des droits que l’union seule pourra leur assurer dans l’avenir.
Or, comment devenir citoyen d’un pays qui n’en est pas un, puisqu’il n’a pas encore d’institutions, de politique commune et de gouvernement ?
Point d’Europe sans civisme européen. Mais point de citoyens européens sans une Europe constituée.
C’est encore une histoire de la poule et de l’œuf : qui a commencé ? L’œuf, mais pondu par quelle poule ? La poule, mais née de quel œuf ? Ainsi l’Europe pas encore « faite », et le citoyen pas encore européen, se regardent comme la poule possible et l’œuf virtuel, et chacun dit à l’autre : existe donc d’abord ! J’existerai bien sûr tout de suite après, mais c’est à toi de commencer !
Ce dialogue est celui de tout engendrement, et en dépit de Zénon d’Élée, il aboutit souvent à des naissances réelles.
Le motif de notre Campagne d’éducation civique européenne, c’est la nécessité de sortir de ce sophisme théorique opposant deux réalités encore à naître.
Le moyen pratique d’en sortir nous a paru de nous appuyer sur quelque chose qui existe bel et bien, et qui joue un rôle important dans la vie de chaque Européen : l’École.
Car l’Europe fait des citoyens pour ce qu’elle veut. Elle est chargée par nos États de faire des citoyens pour la nation. Et l’on sait qu’elle y a bien réussi, mais que nous l’avons payé par les deux guerres mondiales. Pourquoi n’en ferait-elle pas aussi bien pour l’Europe, et pour la paix européenne ?
Pour sortir du cercle vicieux où les sceptiques se croyaient enfermés, des militants de l’Europe librement fédérée — c’est-à-dire solidement unie dans ses fécondes diversités — ont décidé de commencer par l’École et d’attaquer le problème concret avec l’aide des enseignants.
Une première réunion s’est tenue à Genève en mai 1961 pour étudier les possibilités de l’enseignement d’un civisme européen.
Elle a donné naissance à un comité d’action où sont représentés le Conseil de l’Europe1, les Communautés européennes, la Journée européenne [p. 2] des écoles, l’Association européenne des enseignants, des représentants de divers ministères de l’Éducation nationale, le Centre européen de la culture assurant le secrétariat de l’entreprise, qu’il avait préparée par plusieurs publications2.
Le comité a lancé la Campagne d’éducation civique européenne dès l’automne 1961.
Le programme de la Campagne comportait quatre activités principales : une enquête sur la situation de l’enseignement civique dans les pays de l’Europe de l’Ouest ; des stages de formation des maîtres du premier et du second degré de l’enseignement ; les publications ; un Centre de documentation pédagogique européenne.
L’enquête sur l’état de l’éducation civique a été lancée dès janvier 1962 auprès de 19 gouvernements par les soins du secrétariat de la Campagne. Ses résultats ont été publiés en 19633. Tous les gouvernements consultés, sans exception, ont répondu d’une manière parfois très détaillée, faisant preuve d’une compréhension réaliste du problème.
L’enquête a fait voir :
1° Un désintéressement flagrant des élèves pour la chose publique et leçons qui s’y rapportent ;
2° Une carence de l’éducation civique : là où elle existe, elle se borne à décrire les institutions mais ne présente pas les problèmes vivants et réels de la vie publique ;
3° Le besoin partout reconnu d’une éducation civique plus concrète sans laquelle point de démocratie ;
4° Le manque de préparation des enseignants, qui demandent à être mieux informés et formés.
Afin de répondre aux vœux ainsi exprimés, et à l’attente de nombreux enseignants, des stages de formation de formateurs ont été préparés par le Comité et réalisés par le secrétariat de la Campagne, dès le printemps de 1962.
[p. 3] La tâche de la Campagne est immense : il y a, dans nos divers pays des centaines de milliers d’enseignants. Pour les atteindre, par où fallait-il commencer ?
Par un regroupement de ceux, d’abord, qui ont pris conscience de ces problèmes.
Par des stages de discussion, d’information, d’expérimentation dans les écoles locales (leçons types données sur les sujets du stage), stages tenus successivement dans tous les pays de l’Europe, et portant sur les matières suivantes : histoire, géographie, éducation politique, arts, sciences, littérature, langues.
Pour organiser ces stages, on a recherché l’appui des gouvernements, des autorités municipales, des directeurs et inspecteurs chargés de l’organisation scolaire, et enfin les enseignants eux-mêmes. Partout, jusqu’ici, l’intérêt témoigné et l’aide apportée ont été extrêmement encourageants ; que ce soit à Bruxelles, à Tutzing, à Zurich, à La Haye, à Oosterbeek, à Calw, l’accueil le plus bienveillant a été réservé à nos stages par les autorités locales, régionales et nationales.
Le secrétariat de la Campagne exprime ici sa vive gratitude à toutes les personnalités — du ministre au maire ou bourgmestre — qui lui ont permis l’organisation de ces stages ainsi qu’aux Communautés européennes et au Conseil de l’Europe, qui ont apporté à la Campagne leur appui matériel et moral.
Le rôle de chaque stage est :
1° de discuter le problème de l’enseignement civique dans un domaine précis, dans une branche existante de l’enseignement actuel ; et de voir comment présenter la matière du programme sous un angle européen, tout en restant dans le concret de la situation locale ou nationale ;
2° d’expérimenter dans les écoles, par des leçons effectivement données, les méthodes et informations préalablement mises au point ;
3° d’inciter les participants à élargir cette action dans leurs milieux, c’est-à-dire d’organiser à leur tour des stages, des rencontres dans leur établissement, leur ville, leur région dont ils prendraient l’initiative.
Les textes que nous publions ici ne représentent qu’une faible partie de ceux qui ont été présentés aux stages organisés de 1962 à 1964. On s’est borné à reproduire l’essentiel des communications qui ont recueilli l’accord le plus général.
Le lecteur de ces textes et des résumés de quelques stages déjà tenus voudra bien garder dans l’esprit le fait qu’il ne s’agit que d’un départ, et que l’action de la Campagne est à long terme.
Les prochains stages auront lieu à Vienne, à Oxford, à Paris, au Danemark et en Italie.