Deux-mille volumes sur l’Europe (février 1963)a
La Bibliographie européenne que prépare actuellement le CEC, et qui sera publiée en 1964, comporte environ 2000 titres. On n’a retenu, à de rares exceptions, que les ouvrages parus depuis la dernière guerre.
Le critère adopté pour établir cette liste est des plus simples : ont été cités les ouvrages qui, dans tous les domaines, traitent de l’ensemble européen et de sa problématique ; ont été exclus les ouvrages qui ne traitent que d’un de nos pays (sauf s’ils ont pour sujet les rapports de ce pays avec l’ensemble européen) ; ceux qui décrivent des événements historiques survenus dans l’aire géographique de l’Europe mais qui ne sont pas étudiés et situés dans leurs rapports avec l’ensemble ; ceux qui parlent d’œuvres d’art ou de pensée créées un jour ou l’autre par des Européens mais ne les envisagent pas expressément dans le contexte de notre unité de culture ; enfin, ceux qui n’ont l’Europe que dans le titre — ils sont fréquents, depuis que le sujet est à la mode.
Les deux-mille ouvrages retenus sont répartis en seize rubriques, dont voici la liste : L’ensemble européen et les valeurs occidentales — Géographie — Histoire — Arts — Littérature et linguistique — Religion — Éducation — Problèmes politiques de l’Union — Aspects juridiques — Institutions — Fédéralisme — Économie — Les nations et l’Europe — L’Est européen — L’Europe et le Monde — Répertoires, Index, Guides.
On pourra certes discuter ces rubriques et la répartition entre elles d’ouvrages qui, bien souvent, relèvent à la fois de l’histoire, de la philosophie, du droit et de la politique, etc. Nous avons pris pour guide, dans ce classement, l’utilité pédagogique. J’entends par là que nous avons cherché à nous mettre à la place de l’étudiant qui entreprend d’écrire une thèse sur un sujet européen. Il n’a pas le temps de lire 2000 volumes. Il doit savoir quels sont les titres qui intéressent sa spécialité et les branches connexes de la culture. Nous ne voulons pas donner des notes, bonnes ou mauvaises, mais nous tâcherons d’indiquer brièvement — par des notices de quelques lignes — l’importance de l’ouvrage, son niveau scientifique, et s’il apporte soit des faits, soit une méthode, soit des arguments inédits ; [p. 3] ou encore, s’il a joué un rôle déterminant dans l’évolution des idées qui a précédé et qui soutient les constructions économiques et politiques, lesquelles servent de sujet à la plupart des thèses soutenues dans toutes nos universités et qui traitent d’un problème européen.
Vers une Semaine européenne du livre
De cette bibliographie seront extraites (et publiées dès mars 1963, en brochure) des listes de 100 à 150 volumes, considérés comme ouvrages de base. Ces listes aideront les libraires à composer leurs vitrines, lors de la Semaine européenne du livre qui se prépare, sur notre initiative, et qui aura lieu au printemps de cette année (du 30 mars au 6 avril) avec l’appui déterminant de la Communauté internationale des libraires, dont le siège est à Delft. Plusieurs centaines de librairies, dans tous nos pays, seront invitées à composer des vitrines « européennes ». Des prix seront décernés lors d’une cérémonie de clôture qui sera tenue à Genève.
Le présent numéro de notre bulletin reflète les travaux préparatoires de la bibliographie et de la Semaine du livre. Il ne vise qu’à décrire une coupe dans la production « européiste » contemporaine. L’examen de cette coupe appelle, à notre avis, deux remarques fondamentales.
Trop de livres sur l’Europe ?
Les ouvrages sur l’Europe se multiplient déjà d’une manière anarchique, je veux dire : sans tenir compte suffisamment les uns des autres. Chaque auteur pour sa part et à son tour redécouvre le continent, ses problèmes et les solutions proposées à ces problèmes depuis des siècles, ou de nos jours. Chacun brûle d’apporter au débat ses idées, ses critiques, ses panacées, qui se veulent toutes « fondées sur le terrain solide des réalités ». Leur unanimité fondamentale devrait-elle nous rendre optimistes sur l’avenir de l’union de l’Europe ? J’en doute un peu. (Mais il y a bien d’autres raisons d’être optimiste.)
Défauts communs à la plupart de ces ouvrages : ils sont écrits à la hâte, pour « coller à l’actualité », et par suite entachés d’erreurs de faits, de noms, de typographie, et surtout de hiérarchie des valeurs. Ils sont parfois pleins de redites, chacun se croyant tenu de refaire l’historique [p. 4] de la construction européenne, de la CECA, du Marché commun, etc., et d’exprimer au sujet des actions en cours son appréciation personnelle a posteriori ; ils sont souvent trop longs, comme tout ce qui est improvisé et manque un peu de rigueur, ou de modestie. Enfin et surtout, ils sont dépourvus pour la plupart de ce style de pensée créatrice qui serait seul capable d’entraîner une adhésion efficace à la cause. La préoccupation craintive de se tenir « les pieds sur la terre » leur coupe les ailes. L’homme d’action marche, court et vole ; il est d’abord un visionnaire. Sans visionnaires à la Colomb, pas d’Europe, ni de plans d’union de l’Europe, ni de Marché commun, ni donc de prétexte et d’objet pour cette littérature « d’actualité », qui vient toujours après ce que d’autres ont osé faire sans se demander d’abord si c’était à la mode, si cela intéressait le grand public. Certaines manières d’expliquer que « Jean Monnet avait raison et la preuve c’est qu’il a réussi » révèlent chez leurs auteurs une tournure d’esprit qui devait les rendre hostiles à la CECA en ses débuts, et qui reste opposée, foncièrement, aux développements prochains et nécessaires de l’intégration économique et du fédéralisme politique.
Mais quoi ! le succès d’une idée se mesure aussi au grand nombre de ceux qui s’imaginent la découvrir, quitte à faire la leçon à ses initiateurs.
Pour une politique des publications européennes
Certes, il ne faut décourager personne, et l’on doit se féliciter de voir autant d’esprits préoccupés de mettre en ordre leurs idées sur ce qui se passe dans notre monde. Mais publier tout cela pose un autre problème, et c’est aux éditeurs qu’on voudrait demander de se montrer plus difficiles. Trop d’ouvrages de seconde main sur l’Europe risquent de faire du tort à la cause de l’union, non moins qu’en firent naguère l’indifférence ou la méfiance systématique.
Les éditeurs auraient tout avantage à connaître ce qui s’est fait jusqu’à présent : ils verraient mieux quelles sont les lacunes à combler, et quels problèmes nouveaux attendent d’être traités. Ils pourraient établir une politique des publications sur l’Europe : sujets, auteurs, séries d’études, collections, traductions, éditions en commun.
L’échec d’une première tentative, entreprise par le CEC voici cinq ans, n’a rien pour les décourager. Si le pool Editeuropa, après un départ enthousiaste, n’a finalement rien produit sous son nom, c’est à cause de certaines erreurs qu’il sera plus facile d’éviter désormais. La première fut de limiter à un seul éditeur par langue la qualité de membre [p. 5] du pool. En effet, la variété des publications envisagées, si elle correspondait bien à la variété de la production réelle et des besoins, ne convenait pas aux programmes de chacun des éditeurs membres. Les uns se trouvaient outillés pour publier de grands ouvrages d’art, les autres préféraient se limiter à des livres de format courant, d’autres enfin craignaient que les premiers titres retenus ne soient pas de bonne vente dans leur pays. Qu’ils se soient trompés sur ce dernier point, c’est ce qu’a montré le succès qu’ont remporté depuis lors deux au moins des ouvrages retenus au départ, puis écartés finalement par le pool. Il est juste d’ajouter que l’intérêt pour les publications « européistes » s’est fortement accru depuis deux ans, ainsi que nous l’avions prévu.
D’autres entreprises collectives — au premier rang desquelles il faut citer l’édition en six langues de l’Histoire de l’Europe et du génie européen (par l’éditeur Robert Laffont, à Paris)1 — ont d’ailleurs démontré la rentabilité de l’édition en pool, mais pour une seule espèce de livres qui sont de grands volumes illustrés. De même, le groupe d’éditeurs2 qui publie la collection Eurolibri s’est spécialisé dans le domaine de l’économie et du droit économique.
Il semble donc qu’une politique de l’édition « européiste » n’est pas seulement souhaitable mais possible, moyennant une souplesse suffisante de la formule de coopération organisée. Quatre ou cinq éditeurs par langue, au lieu d’un seul ; un groupe de conseillers aux compétences variées ; et un service d’information sur les sujets opportuns, les ouvrages déjà parus, les auteurs possibles, les projets en cours, et ceux qu’il conviendrait d’encourager ou de susciter, — tels seraient, à notre avis, les éléments de base d’un pool européen de l’édition.