Campus n°151

Toutânkhamon tombe le masque

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Le 26 novembre 1922, le britannique Howard Carter mettait au jour le plus fabuleux trésor archéologique jamais découvert. Un siècle plus tard, Dimitri Laboury, grand spécialiste de la XVIIIe dynastie égyptienne, fait le point sur ce que nous savons de son détenteur légitime, un jeune pharaon nommé Toutânkhamon.

L e 27 septembre 1822, Jean-François Champollion expose devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres de Paris ses découvertes relatives aux hiéroglyphes. Après une dizaine d’années de travail acharné, le linguiste français est finalement parvenu à trouver la clé qui permet de déchiffrer l’écriture utilisée par les pharaons et leurs compatriotes. Sensationnelle, la découverte donne le coup d’envoi de l’égyptologie moderne, ouvrant des perspectives inédites à la recherche sur cette période dont on ne se sait alors pas encore grand-chose. Tout juste un siècle plus tard, le 26 novembre 1922, l’archéo­logue britannique Howard Carter perce un petit trou dans la porte de l’antichambre de la tombe de Toutânkhamon, dont il exhumera le plus fabuleux trésor archéologique jamais mis au jour. Largement médiatisée, la nouvelle déclenche une «égyptomanie» à l’échelle planétaire qui va profondément bouleverser le rapport du monde contemporain à celui des pharaons de l’Égypte ancienne. À l’heure de ce double anniversaire et au-delà de la légende, que savons-nous au juste de l’homme qui se cachait derrière son célèbre masque d’or ? Dans quelle mesure les récents progrès de la science, notamment dans le domaine de la génétique, ont-ils modifié nos connaissances sur ce jeune roi prématurément disparu ? C’est le sujet qu’a choisi d’aborder Dimitri Laboury, professeur en égyptologie et archéologie égyptienne à l’Université de Liège et grand spécialiste de la XVIIIe dynastie, dans le cadre de la leçon d’ouverture du semestre d’automne. Entretien.

Campus : L’histoire de l’Égypte ancienne couvre plus de 3000 ans. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser plus particulièrement au destin de Toutânkhamon ?

Dimitri Laboury : Toute personne qui a un intérêt pour l’Égypte ancienne éprouve une forme de fascination pour ce pharaon. La mise au jour de sa tombe, dont on fête le 100e anniversaire cet automne, constitue la découverte archéologique la plus faramineuse qui a jamais été réalisée, quelle que soit la sous-discipline archéologique qu’on envisage. En premier lieu à cause du fabuleux trésor découvert dans ce tombeau, qui comprend pas moins de 250 kilos d’or – soit l’équivalent de 12 millions de francs suisses actuels – et plus de 5000 objets, dont près de la moitié ont été retrouvés intacts. Mais aussi pour toutes les informations historiques que cette trouvaille nous a apportées.

Comment Howard Carter, qui n’était pourtant pas archéologue de formation, est-il parvenu à un tel exploit ?

Carter est le onzième enfant d’une famille relativement modeste. Or, à l’époque, la profession d’archéologue est un sport de riches, réservé à l’élite sociale. Illustrateur de formation, Carter éprouve cependant très tôt une véritable fascination pour l’Égypte antique, qu’il découvre au travers d’objets rassemblés par un des riches clients de son père, peintre lui aussi. À l’âge de 17 ans, il fait ses bagages pour les rives du Nil en tant qu’illustrateur pour l’Egypt Exploration Fund. Sur le terrain, ses talents d’enquêteur font rapidement merveille, ce qui lui vaut d’être nommé, quelques années plus tard, inspecteur officiel du Service des antiquités de la Haute-Égypte, par son directeur de l’époque, le Français Gaston Maspero. Contraint à la démission en 1905, à la suite d’un incident diplomatique, Carter va alors s’associer avec un riche citoyen britannique, Lord Carnavon, avec une idée en tête : retrouver la tombe de Toutânkhamon, qu’il est convaincu de pouvoir localiser dans la vallée des Rois.

Sur quoi se fonde cette certitude ?

Carter est déjà parvenu à situer le tombeau de Thoutmôsis IV, le huitième pharaon de la XVIIIe dynastie et il pense, avec raison, que celle de Toutânkhamon se trouve dans le même périmètre. La découverte d’une coupe portant le nom du pharaon et celle d’une cache d’embaumeurs à quelques centaines de mètres de là lui permettent de préciser la zone à fouiller. La mise au jour de la tombe d’Akhenaton, en 1907, puis de celle du second successeur de Toutânkhamon l’année suivante, ne fait que conforter son intuition. Le problème, c’est que la zone convoitée par Carter et Carnavon n’est alors pas accessible.

Pour quelle raison ?

Jusqu’en 1915, c’est le financier américain Theodore Monroe Davis qui dispose de la concession lui permettant de fouiller cette partie de la vallée des Rois. Concession qu’il finit par abandonner, convaincu que cette portion de territoire n’a plus de secrets à livrer, ce qui laisse enfin à Carter les coudées franches.

Il lui faudra pourtant encore sept ans avant de toucher au but…

Le périmètre de fouilles délimité par Carter est assez vaste. Il le découpe donc en portions et il se trouve que la tombe tant convoitée se trouve dans l’avant-dernière de ces portions, en plein centre du carré dessiné par Carter sur la carte.

Le tombeau dans lequel Carter pénètre pour la première fois le 26 novembre 1922 est-il totalement intact ?

Non. Carter s’aperçoit très vite que des pilleurs sont passés par là. Des reprises de maçonnerie sont visibles dans le mur de fermeture du couloir d’entrée. Une partie de la bijouterie a disparu, de même que les onguents. Carter trouve également dans le couloir une écharpe contenant des bagues. Ce qui laisse penser que les voleurs ont opéré rapidement après le décès du roi, car les onguents ne se conservent pas, et qu’ils ont été pris la main dans le sac avant que la tombe ne soit à nouveau scellée.

Comment se fait-il que ce soit le seul tombeau royal presque totalement préservé qui soit parvenu jusqu’à l’époque contemporaine ?

C’est largement dû à l’héritage du père du jeune pharaon. Akhenaton a en effet engagé au cours de son règne une profonde réforme religieuse, dans laquelle certains ont cru voir, à tort, les prémices du monothéisme. Or, à la même époque, l’Égypte va connaître sa première défaite militaire depuis un siècle, ainsi qu’une épidémie de peste comparable à la grande peste noire qu’a vécue l’Occident au Moyen Âge. Les Égyptiens vont interpréter ces événements comme une forme de châtiment divin, ce qui va les pousser à rejeter non seulement l’héritage d’Akhenaton, mais aussi celui de l’ensemble de sa famille. Toutânkhamon va ainsi progressivement sombrer dans l’oubli. À tel point qu’un siècle plus tard, une nouvelle tombe va être creusée juste au-dessus de la sienne, dont l’entrée va se trouver dissimulée sous les remblais et les gravats. Ce qui permettra au trésor de Toutânkhamon d’échapper non seulement aux pillards clandestins, mais également au pillage systématique des tombes royales organisé par le pouvoir au tournant du IIe et du Ier millénaire afin de renflouer les caisses de l’État.

Outre les richesses qu’elle contient, que nous apprend cette tombe du règne de Toutânkhamon ?

La tombe de Toutânkhamon n’a absolument pas la forme d’une tombe royale classique. Les tombes royales de l’époque sont beaucoup plus grandes et elles répondent à une typologie précise comprenant un certain nombre de passages obligés et de salles consacrées à tel ou tel rite. Ce qui n’est pas le cas de celle de Toutânkhamon. Il s’agit très certainement d’une tombe creusée pour un membre de la cour ou de la noblesse qui a été aménagée rapidement, parce que le roi est mort de manière inopinée. C’est donc en quelque sorte une tombe qui est bricolée et c’est un peu la même chose pour son trésor funéraire.

C’est-à-dire ?

D’après les restes que les pillards ont laissés dans les autres tombes, on peut constater que celle de Toutânkhamon est représentative de ce qu’on trouvait dans les grandes tombes mais c’est un micro-trésor funéraire qui a été complété par des objets ayant appartenu au roi dans sa jeunesse. Il y a aussi quelques coffres qui sont annotés en égyptien et sur lesquels on trouve une mention du roi en tant que « dauphin » et qui ont probablement été ajoutés pour donner plus de consistance au trésor. Cela laisse imaginer la splendeur des tombes de grands pharaons comme Ramsès II ou Thoutmosis III. Ce dernier a régné près d’un demi-siècle, à une époque où l’Égypte est également très prospère, puisqu’on sait que sous son règne, le trésor du temple d’Amon reçoit chaque année 250 kilos d’or, soit l’équivalent de ce qui a été trouvé dans le tombeau de Toutânkhamon.

Les analyses menées récemment sur la momie de Toutânkhamon ont-elles permis de déterminer la cause de son décès ?

On a beaucoup fantasmé sur l’état de sa momie pour déterminer les raisons de sa mort qui est survenue alors qu’il devait avoir tout au plus l’âge de 18 ans. Mais il faut savoir que la dépouille est dans un très mauvais état parce qu’elle a été momifiée avec une espèce d’excès de zèle, ce qui fait que la peau a été brûlée par les onguents et qu’elle était collée au fond du cercueil. Le fait qu’il manque une partie du sternum, probablement arrachée lors d’un pillage postérieur à Carter, ainsi qu’une portion d’un genou a fait dire à certains de mes collègues que Toutânkhamon avait été renversé par un char. Mais il n’y a pas l’ombre d’une preuve pour étayer cette version. De même que s’il avait été empoisonné, il serait impossible de le déterminer aujourd’hui. On ne sait donc pas et on ne saura probablement jamais de quoi il est mort. Ce qui est certain, en revanche, c’est que sa santé n’était pas très bonne et qu’il avait notamment été infecté par la malaria.

Certains de vos collègues ont également affirmé qu’il souffrait d’un pied bot, thèse que la présence de nombreuses cannes dans le tombeau tendrait selon eux à confirmer…

Il est très fréquent que les pieds soient déformés par la momification. Il faut donc rester prudent. D’autant plus que rien dans la morphologie de son squelette ne vient confirmer cette supposée infirmité. Par ailleurs, le fait d’avoir une canne a toujours représenté un signe de prestige en Égypte jusqu’à aujourd’hui. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le pharaon, qui est d’ailleurs souvent représenté avec cet ustensile à la main, en possède plusieurs.

Le roi n’a pas laissé d’héritier mais on a retrouvé deux enfants mort-nés dans sa tombe. Sait-on qui ils étaient ?

Il s’agit de deux filles décédées avant le terme et qui ont vraisemblablement été engendrées avec des épouses secondaires issues du harem royal. Leur patrimoine génétique exclut en tout cas la possibilité qu’elles aient été enfantées par la reine, qui était aussi la sœur de Toutânkhamon.

Comment le sait-on ?

Les analyses génétiques menées par les services archéologiques égyptiens au cours des dernières décennies ont permis de reconstituer l’arbre généalogique du jeune roi. On a ainsi pu prouver que non seulement ses parents sont bel et bien Akhenaton et Néfertiti mais aussi qu’une véritable stratégie matrimoniale avait été mise en place à cette époque par les reines mères afin de consolider les liens entre leur famille d’origine et la famille régnante. C’est ainsi que Toutânkhamon a été amené à épouser l’une de ses sœurs, alors même que celle-ci avait tenté de l’écarter du trône quelques années auparavant.

Pouvez-vous préciser ?

La découverte de la tombe du principal précepteur de Toutânkhamon dans la région d’Akhmîm, à une dizaine de kilomètres au sud de la ville d’Amarna, qui est alors la capitale royale, laisse penser qu’à la mort de son père, le jeune roi a été placé en province, dans le fief d’origine de sa famille maternelle. L’opération a, selon toute vraisemblance, été orchestrée par ses deux sœurs, Mérytaton et Ânkhésenamon, sa future épouse. Mais les choses tournent court, puisque Mérytaton décède rapidement, après trois années de règne seulement.

Que se passe-t-il ensuite ?

Il a visiblement été décidé de marier Toutânkhamon et Ânkhésenamon afin de les réconcilier et, conformément à la règle, c’est Toutânkhamon qui a hérité du trône. On sait que son premier acte en tant que pharaon est de promulguer un édit ordonnant le retour aux anciens cultes afin de se concilier les dieux de l’Égypte, ce qui revient à renier
l’héritage de son père. Cela étant, il a alors 8 ou 9 ans et il ne décide donc probablement pas de grand-chose. Ces décisions sont pilotées par des conseillers appartenant à l’élite, dont deux sont particulièrement influents : Aÿ, qui est très vraisemblablement le père de la reine Néfertiti, et le général Horemheb. Deux personnages qui prendront successivement le pouvoir à la mort de Toutânkhamon.

Propos recueillis par Vincent Monnet