Campus n°108

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n° 108 avril-mai 2012
L'invité | Michel Jarraud

«Plus nous attendons, plus l’adaptation risque d’être conséquente»

Secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale, Michel Jarraud partageait avec Arnold Schwarzenegger l’affiche de la Grande conférence consacrée aux défis climatiques organisée par l’Université en mars dernier. Entretien

Différents signaux semblent indiquer qu’en contexte de crise économique, le climat n’est plus une priorité. Ce thème est en effet quasiment absent des campagnes présidentielles américaines et françaises et, pour beaucoup d’observateurs, les derniers sommets internationaux (Copenhague, Cancun, Durban) se sont soldés par des échecs. Partagez-vous cette analyse?

Michel Jarraud: Le rôle de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) est de fournir aux décideurs les meilleures informations possible sur l’évolution du climat, les émissions de gaz à effet de serre et les catastrophes naturelles, et non de se prononcer sur telle ou telle décision politique. Cela étant, je ne partage pas le point de vue de ceux qui considèrent les dernières Conférences des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique comme des fiascos.

Pourquoi?

Nous souhaitons que les choses avancent le plus vite possible, en particulier au niveau de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Plus nous attendons, plus l’objectif fixé par la communauté internationale, à savoir maintenir le réchauffement global moyen à la surface sous 2 degrés par rapport à la situation de 1990, sera difficile à atteindre et plus le besoin d’adaptation risque d’être conséquent. A cet égard, le sommet de Durban, par exemple, a permis un certain nombre de progrès.

Lesquels?

Le fait majeur est que les pays en voie de développement comme l’Inde ou la Chine, qui est aujourd’hui le plus gros émetteur de CO2 dans l’atmosphère, ont accepté d’ouvrir le dialogue. On ne résoudra pas ce type de questions sans l’implication de ces pays émergents. La dynamique qui est en train de se mettre en place est donc incontestablement un signe positif. D’autre part, les récents sommets sur le climat ont également permis d’obtenir un accord de principe sur la création d’un «fonds vert» et sur ses mécanismes financiers.

Quel est l’objectif de ce fonds?

Même si, par un coup de baguette magique, il était possible de stopper du jour au lendemain toute émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, nous serions quand même confrontés à un certain réchauffement causé par ceux qui s’y trouvent déjà. Quelle qu’en soit l’ampleur, nous devrons donc dans tous les cas nous adapter. Le «fonds vert» vise à aider les pays en voie de développement à faire face aux changements qui interviendront inexorablement. L’objectif est très ambitieux puisqu’il s’agit d’alimenter ce fonds à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, ce qui ne sera pas facile dans le contexte financier actuel.

Les chiffres record enregistrés en 2011 laissent pourtant penser que la planète pourrait se réchauffer encore plus rapidement que les scientifiques ne l’avaient estimé jusqu’ici…

Nous sommes aujourd’hui capables de mesurer de manière très fiable les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. En 2011, l’une des neuf ou dix années les plus chaudes depuis 1850, nous avons en effet atteint des valeurs pour le CO2, le méthane et les oxydes nitreux, plus élevées que celles dont nous disposons pour les 700 000 à 800 000 dernières années. D’autre part, l’élévation du niveau de la mer est plus importante dans plusieurs endroits que la hausse de l’ordre de 20 à 60 cm que les experts du Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) avaient anticipée, pourtant déjà catastrophique pour certaines régions du monde. Enfin, on constate une fonte accélérée de la banquise en Arctique et du permafrost. Ce dernier point préoccupe beaucoup la communauté scientifique dans la mesure où ce phénomène risque de se traduire par des relâchements de méthane susceptibles d’accélérer encore un peu plus le réchauffement.

L’OMM est l’une des deux organisations fondatrices du GIEC dont le prochain rapport est prévu pour 2014. Que peut-on en attendre?

Il faut savoir que le GIEC ne conduit pas de recherches. Son rôle est de proposer une synthèse périodique (en l’occurrence tous les six ou sept ans) de l’état des connaissances sur les changements climatiques. Le rapport 2014 permettra de préciser les scénarios actuels grâce à des projections à des échelles beaucoup plus fines. Il est «On ne résoudra pas ce type de problèmes sans l’implication des pays émergents» Campus N° 108 Université de Genève évidemment utile de connaître l’augmentation moyenne de la température au niveau de la planète, mais ce n’est pas suffisant pour prendre des décisions. Les choses ne se passeront en effet pas de façon uniforme dans toutes les régions du monde. Les changements seront ainsi plus importants aux latitudes élevées que sur les tropiques, sur les terres que sur les océans.

Cela impliquera-t-il une augmentation des catastrophes naturelles?

La question du lien entre catastrophes naturelles et réchauffement est souvent posée. Mais on ne peut attribuer un phénomène particulier à une seule cause. On peut affirmer, en revanche, que les phénomènes extrêmes vont devenir plus fréquents à cause du réchauffement climatique. Une canicule telle que celle que nous avons connue en 2003, par exemple, n’aura sans doute plus rien d’exceptionnel à la fin du siècle. Par ailleurs, tout indique que le risque de sécheresse dans l’ensemble du bassin méditerranéen, par exemple, ira en grandissant.

A ce propos, les données fournies par l’OMM permettent de prévoir ce type d’événements avec plusieurs années d’avance. Comment expliquer dès lors que la sécheresse tue encore autant, en particulier en Afrique?

La sécheresse particulièrement critique qui a sévi l’an dernier dans la Corne de l’Afrique a été relativement bien prévue du point de vue météorologique. La difficulté réside dans le fait que les informations fournies actuellement ne sont pas facilement utilisables pour la prise de décision. Il s’agit en effet de prévisions complexes exprimées sous forme de probabilités. Or, tous les acteurs concernés ne sont pas à même de s’appuyer sur ce type d’information pour faire des choix qui peuvent avoir un impact sur des décennies. D’où la nécessité de développer un «cadre mondial pour les services climatologiques».

De quoi s’agit-il?

L’idée s’est concrétisée lors de la 3e Conférence mondiale sur le climat qui s’est tenue à Genève en 2009. Elle consiste essentiellement à développer pour les services climatologiques ce que l’on a fait depuis cinquante ans pour la météorologie. En d’autres termes, l’objectif est de mettre à la disposition des décideurs des informations qui permettent la prise de décision dans un contexte d’incertitude. C’est d’autant plus important que nous avons affaire à des problèmes qui sont de plus en plus interconnectés. Prenez l’exemple de ce qui s’est passé à Fukushima: au départ, un tremblement de terre qui déclenche un tsunami engendrant une catastrophe nucléaire avec émissions de particules radioactives dans l’atmosphère et l’océan. C’est typiquement le genre de cas dont la prévention appelle des réponses multidisciplinaires et un accès de tous à l’information.

Créé et présidé par Arnold Schwarzenegger, le R20 a pour objectif de mettre en place un réseau régional en vue de mener des actions concrètes en faveur du développement durable. Quel regard portez-vous sur cette initiative?

Pour échanger des données essentiellement à des fins de prévision, un système intergouvernemental comme celui coordonné par l’OMM est sans doute le plus efficace: il fonctionne bien car tous les pays ont besoin les uns des autres. Pour ne prendre qu’un exemple, les Etats-Unis ne peuvent se passer des observations effectuées en Afrique pour prévoir les ouragans qui touchent chaque année les Caraïbes. Par contre, des décisions à tous niveaux auront un impact sur le climat et elles ne peuvent être toutes prises au niveau des gouvernements nationaux. Les choix faits par les municipalités ou les régions, à proximité et avec l’engagement des citoyens, sont essentiels. De ce point de vue, on ne peut donc que se réjouir de la création d’une organisation comme celle du R20.

Propos recueillis par Vincent Monnet