1984-11-30, Denis de Rougemont à Alexandre Marc
Merci pour ton acceptation ! Je la considère comme définitive, puisqu’il n’est pas question une seconde de te faire venir ici pour des réunions administratives.
J’ai deux questions à te poser. La première concerne les circonstances de la mort de Claude Chevalley. J’ai reçu une lettre il y a trois mois déjà d’un mathématicien de l’Université de Nice qui me demande de lui communiquer quelques souvenirs sur Claude, en vue d’une notice biographique qu’il doit fournir pour les Anciens de l’École normale. (Voir la photo jointe de la lettre J. Dieudonné.)
Comme j’ai vraiment beaucoup tardé à lui répondre, je me permettrai de lui donner tout de suite ton adresse, tu pourrais peut-être le joindre par téléphone à Nice, s’il n’est pas déjà trop tard comme je le crains (je suis un peu attristé de n’avoir pas reçu un mot, ni même un faire-part de Sylvie. Il y avait eu un refroidissement de nos relations lors de mon divorce, mais tout de même !). Indépendamment de tout cela, je serais soulagé de savoir par toi ce qui s’est passé.
As-tu jamais entendu parler de la rocambolesque épopée dont tu trouveras une première description dans les deux coupures que je joins à cette lettrea. J’avoue que je suis assez fier d’avoir réussi à réconcilier les descendants de Staline et ceux d’Hitler. Au surplus, je me prends à rêver à un procès en dommages et intérêts pour une somme en dollars qui me mettrait définitivement à l’abri du besoin, même si je vis encore 20 ans, et qui pourrait accessoirement financer le CEC, Cadmos et pourquoi pas le CIFE.
Autres sujets d’entretiens avec toi qui me seraient bien utiles :
a) oui, j’ai bien lu ta lettre au Nouvel Obs. Dommage qu’ils aient coupé la conclusion qui devait évidemment la couronner.
[p. 2]b) « libre et responsable » : oui, j’ai bien vu le larcin opéré par Chirac, lequel ne s’est pas laissé arrêter par l’exemple du premier voleur d’importance de cette devise, qui n’était autre que Jean-Paul Sartre. Une seule différence : Sartre avait reconnu le fait à fin 1944, mais seulement verbalement. Si tu veux traîner Chirac devant les tribunaux, d’accord, mais tu serais gentil de me fournir d’abord une petite anthologie de l’usage de la devise dans l’ON.
La suite au prochain numéro.
M. de Rougemont, interrompu au moment d’ajouter quelques lignes manuscrites à cette lettre et obligé de quitter le bureau sans avoir pu signer son courrier, me prie de vous envoyer ce petit dossier sans plus attendre.
Secrétaire de M. D. de Rougemont