Campus n°135

Confessions dans l’officine

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Un patient sur deux atteint d’une maladie chronique peine à suivre son traitement. Nommée cet été professeure titulaire à la Section des sciences pharmaceutiques, Marie-Paule Schneider Voirol cherche à comprendre pourquoi. Une consultation centrée sur ce thème sera mise sur pied prochainement à Genève. 

Bienveillance : nom féminin. Disposition affective d’une volonté qui vise le bien et le bonheur d’autrui. Terme qui définit également très bien la manière dont Marie-Paule Schneider Voirol conduit une carrière académique qui lui a valu d’être nommée en août dernier professeure titulaire au sein de l’École de pharmacie Genève-Lausanne (EPGL). Spécialiste de l’adhésion thérapeutique (discipline qui investigue l’autogestion du traitement par le patient) et de l’interprofessionnalité, la chercheuse d’origine valaisanne est notamment chargée d’implanter dans les murs de Pharma24, la première pharmacie de Suisse à être ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, une consultation similaire à celle qu’elle a mise sur pied à Lausanne depuis plus de dix ans. Une démarche pionnière rendue nécessaire par l’évolution de nos sociétés et qui préfigure les systèmes de santé de demain.

Le mal du futur

Malgré le développement de la vaccination, durant la dernière partie du XIXe siècle, et la découverte de la pénicilline, à la fin des années 1930, les maladies infectieuses ont longtemps constitué la première cause de mortalité à l’échelle de la planète. Depuis le début du XXIe siècle cependant, ce triste privilège revient aux maladies dites chroniques ou non transmissibles. Selon certaines estimations les cardiopathies, les accidents vasculaires cérébraux, les cancers, l’hypertension et autres diabètes seront ainsi responsables de plus de 80% des décès dans le monde à l’horizon 2030.
Pour faire face à ce défi majeur, il faut bien sûr s’efforcer de lutter contre les facteurs de risques que sont le tabagisme, la sédentarité, une mauvaise alimentation ou une consommation excessive d’alcool. Il faut également miser sur la recherche en vue de développer de nouvelles pistes thérapeutiques. Il faut enfin s’assurer que les traitements existants soient acceptés et intégrés de manière adéquate par les patients.

Gaspillage de ressources

La chose semble aller de soi. Pourtant, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) datant de 2003, la mauvaise adhésion aux traitements de longue durée pour les maladies chroniques atteindrait 50%. Le problème est de taille dans la mesure où il entraîne des complications médicales et psychosociales, diminue la qualité de vie des patients, augmente le nombre d’hospitalisations et la probabilité de développer des pharmacorésistances, ce qui génère un gaspillage important des ressources. Le phénomène qui, selon l’OMS, «empêche les systèmes de santé dans le monde entier d’atteindre leurs objectifs sanitaires», est cependant longtemps resté à l’écart du radar des chercheurs. Marie-Paule Schneider Voirol y est d’ailleurs venue un peu par hasard.

De l’hôtel à l’hôpital

Fille d’un couple d’hôteliers installés à Martigny, elle se découvre un goût pour le contact humain en donnant quelques coups de main à la réception ou durant le service, avant d’intégrer une filière littéraire au collège de Saint-Maurice. « À l’époque, j’étais intéressée par la biologie et le corps humain, explique-t-elle. Je voulais notamment comprendre ce que devenaient les médicaments une fois qu’ils avaient été absorbés par l’organisme. » Cette curiosité suffit à l’envoyer à l’Université de Lausanne (UNIL) pour un cursus de cinq ans en pharmacie. « Compte tenu de ma formation initiale en langues modernes, les premiers mois n’ont pas été faciles, poursuit-elle. Mais je me suis accrochée et cela s’est bien passé. »
Son diplôme en poche, elle rejoint la première volée du tout nouveau Certificat de formation hospitalière proposé par l’UNIL. C’est dans ce cadre qu’elle croise le chemin de celui qui va devenir son mentor, le professeur Michel Burnier. Spécialiste internationalement reconnu de l’hypertension, ce « Valaisan de cœur » permet à la jeune chercheuse de découvrir les arcanes de la recherche clinique et d’y trouver sa vocation.
« Lors d’une visite aux soins intensifs de pédiatrie, je me suis rendu compte que la sécurité d’administration des médicaments pouvait être améliorée, rembobine Marie-Paule Schneider Voirol. C’est comme ça que j’ai décidé de consacrer mon travail de diplôme en pharmacie hospitalière à ces questions avant d’embrayer sur une thèse centrée sur l’adhésion thérapeutique à proprement parler. Un domaine sur lequel il n’existait que peu de littérature au milieu des années 1990. »
Constatant rapidement que de nombreux patients peinent autant à prendre leurs médicaments qu’à en parler, elle envisage de mettre sur pied une intervention susceptible d’aider ces derniers à surmonter leurs difficultés.

Éloge de la transparence

Le dispositif qu’elle met en place au fil des années repose sur l’utilisation de piluliers électroniques (jusque-là réservés aux phases cliniques du développement de médicaments) qui permettent de suivre scrupuleusement le comportement des patients. L’idée n’est pas tant de les surveiller ou de les juger que d’obtenir des informations précises qu’il s’agira ensuite de restituer au patient en toute transparence.
« Les patients ont rarement l’occasion de s’exprimer sur leur prise de médicaments dans le système médical, complète la chercheuse. Pour ceux qui ont accepté leur maladie, expérimenté que le traitement pouvait être bénéfique à leur qualité de vie, le geste devient un rituel, parfois aussi simple que de se brosser les dents le matin. D’autres en revanche vivent mal cette situation pour des raisons très variées, raisons qui échappent généralement au corps médical. C’est pourquoi la consultation que nous avons mise sur pied vise d’abord et surtout à mettre le patient au centre de l’entretien et à lui donner les moyens de bâtir un nouveau comportement, quitte à adapter les prescriptions en fonction de ce qu’il est finalement en mesure de faire. »
Pour assurer l’efficacité d’un tel programme, dont la durée peut varier entre six mois et un an voire plus si nécessaire, une bonne dose d’empathie est indispensable, à défaut d’être suffisante.
« Entrer en contact avec des adolescents ou des personnes qui vivent dans une forme de déni parfois depuis des années n’est pas quelque chose qui s’improvise, confirme Marie-Paule Schneider Voirol. Il faut non seulement être à l’écoute mais aussi prendre le temps d’attendre des réponses ou lancer des questions ouvertes. Le but, c’est d’installer un climat de confiance. C’est pourquoi tous les membres de l’équipe sont formés à l’entretien motivationnel. »

Une plateforme permanente

Ayant démontré son efficacité à Lausanne, où il existe depuis 2004, le programme de soutien à l’adhésion thérapeutique aura dès le mois de janvier 2019 son homologue à Genève, dans les locaux de Pharma24. « Cette structure, localisée dans les nouveaux locaux de l’hôpital et mise sur pied sous l’impulsion de l’association PharmaGenève (la société professionnelle des pharmaciens et des pharmacies genevois), est un outil très précieux, souligne Éric Allémann, président de la Section des sciences pharmaceutiques de la Faculté des sciences et de l’EPGL. En plus de remplir les attributions d’une officine traditionnelle, elle constitue en effet une plateforme idéale entre la population, le monde professionnel et celui de la recherche. »
La consultation d’adhésion n’ayant aucun sens si elle est isolée du reste du système de soins, Marie-Paule Schneider Voirol animera par ailleurs dès la rentrée 2019 un cours consacré à l’interprofessionnalité qui sera obligatoire pour tous les étudiants en médecine, les étudiants de la Haute école de santé et de l’EPGL. Derrière ce terme quelque peu barbare, se cache la volonté d’ouvrir les silos dans lesquels sont encore souvent enfermés les différents spécialistes de la santé. Là encore, le maître mot est la relation humaine.
« Le métier de pharmacien, qui ne se limite pas au travail d’officine, a considérablement évolué au cours de ces dernières décennies, constate Éric Allémann. Aujourd’hui, il n’est plus seulement un relais entre le médecin et le patient mais un acteur central du système de soins. Dans ce contexte, la problématique de l’adhésion thérapeutique est un point majeur sur lequel nous avons décidé de porter des efforts particuliers en ouvrant une nouvelle chaire. De par son expérience dans le domaine, la qualité de ses recherches et la solidité du réseau dont elle dispose à l’échelle internationale, Marie-Paule Schneider Voirol était la candidate idéale pour occuper ce poste. »


Vincent Monnet

 

 

Le quart d’heure du pharmacien


Selon l’Organisation mondiale de la santé, « il se pourrait que l’amélioration de l’adhésion aux traitements donne de meilleurs résultats sanitaires que l’avènement de nouvelles technologies ». D’où l’importance que les travaux menés dans le domaine de l’adhésion thérapeutique par Marie-Paule Schneider Voirol, professeure titulaire au sein de la Section des sciences pharmaceutiques, ne restent pas confinés à la sphère académique mais s’étendent à l’ensemble du personnel de soins et tout particulièrement aux pharmaciens d’officine qui tiennent souvent lieu de premier relais pour le patient.
Côté théorie, la nouvelle professeure propose donc des modules d’enseignement dédiés à la communication entre le pharmacien et le patient ainsi qu’à l’adhésion thérapeutique dans le cadre de son enseignement pré-gradué et dans le cadre d’un Certificat d’études avancées ouvert aux pharmaciens en activité.Sur le plan pratique, elle a également mené une étude d’implémentation dans le canton de Neuchâtel. Mobilisant un médecin, une infirmière et cinq pharmaciens d’officine, ce travail a démontré qu’il était tout à fait envisageable de mettre sur pied une consultation d’adhésion dans une enseigne privée.
« C’est surtout un changement de pratique et de posture pour le pharmacien, commente la chercheuse. Car en soi, la consultation dure une quinzaine de minutes auxquelles il faut ajouter une dizaine d’autres pour écrire un rapport. Elle nécessite par ailleurs un petit lieu confidentiel, ce dont la plupart des pharmacies disposent. »

Dans le même ordre d’idées, Marie-Paule Schneider Voirol suit avec grand intérêt le développement des « cercles de qualité ». Ces réseaux professionnels qui réunissent un pharmacien et plusieurs médecins en général à l’échelle d’un quartier ou d’une petite ville afin d’analyser les prescriptions et d’adapter au mieux la stratégie médicamenteuse. Ces cercles constituent en effet une autre piste prometteuse même si, pour l’instant, ils ne reposent que sur une démarche volontaire.