Campus n°130

Le «Stellarium Gornergrat» transporte les étoiles en classe

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Grâce à un projet astronomique et pédagogique, des enseignants du primaire et du secondaire ainsi que le grand public peuvent depuis ce printemps exploiter un observatoire situé à 3100 mètres d’altitude, face au Cervin.

Dans un fracas sourd et métallique, les deux panneaux de la coupole se déverrouillent et commencent à s’écarter sous l’action de moteurs bruyants. La lumière du jour entre par l’ouverture qui dévoile progressivement le paysage. Au milieu se dresse le Cervin, diva incontestée de l’horizon, coiffé ce jour-là d’un bonnet de nuages. Bien sûr, ce n’est pas pour admirer ce massif granitique à la forme si particulière – et encore moins de jour – que l’observatoire astronomique du Gornergrat a été construit à 3100 mètres d’altitude, au fond de la vallée de Zermatt, sur les tours du Kulmhotel. Mais Timm-Emanuel Riesen, chercheur à l’Université de Berne ainsi qu’au Pôle de recherche national PlanetS et responsable technique de l’observatoire, n’a pas pu résister à l’envie de montrer le cadre exceptionnel dans lequel évolue la pièce maîtresse du projet pédagogique Stellarium Gornergrat : un télescope dernier cri de 60 cm de diamètre agrémenté d’une série de lunettes secondaires. Ce projet, auquel l’Université de Genève est associée depuis le début, est à la disposition des enseignants du primaire et du secondaire depuis le mois d’avril dernier.
Le concept est simple : faire entrer l’observation astronomique dans les classes genevoises et suisses. Grâce à un portail Internet spécialement développé à cette fin et à une solide documentation pédagogique, l’enseignant qui le désire et ses élèves sont en effet en mesure de programmer des observations que le télescope effectue dès que les conditions météorologiques le permettent. Une fois réalisées, les images de galaxies, de constellations, de la Lune ou encore de planètes sont transmises à la classe, qui peut les utiliser dans le cadre d’un enseignement en sciences.
« Commander à distance le télescope est une solution beaucoup plus réaliste que d’accueillir des élèves sur place, explique Timm-Emanuel Riesen. Le trajet depuis n’importe quelle école genevoise dure plus de quatre heures et coûte cher. Et je ne parle même pas d’un éventuel hébergement à l’hôtel ou du risque de se retrouver devant un ciel bouché. »

Plus de 200 pages

Chargé de la partie pédagogique francophone du projet, Andreas Müller, professeur à la Section de physique et à l’Institut universitaire de formation des enseignants (IUFE), et son équipe ont rédigé les fiches destinées à guider les enseignants et les élèves. Cet aspect indispensable à la réussite de l’entreprise a demandé des années de travail. Le résultat – provisoire – est compilé dans un document de plus de 200 pages dont le volume est destiné à grossir avec le temps et la conception de nouvelles activités. La partie francophone a été essentiellement réalisée par Stéphane Gschwind, enseignant à Genève et collaborateur du projet àl'IUFE – Marco Longhitano, de l’Université de Berne, s’étant quant à lui chargé de la partie germanophone. L’ensemble, auquel a également participé Sylvia Ekström, chercheuse au Département d’astronomie (Faculté des sciences), a été testé, corrigé et dûment validé.
« Notre public cible est formé des classes de la fin du primaire et du secondaire, explique Stéphane Gschwind. Nous avons développé du matériel adapté à des élèves de 11 à 19 ans mais aussi pour le grand public ou pour les étudiants plus avancés. Notre souci principal était de créer des liens avec les plans d’études tels qu’ils ont été définis dans les différentes régions linguistiques de Suisse. Ainsi, même si l’astronomie en tant que telle n’est pas au programme, les activités proposées par le Stellarium Gornergrat contiennent toujours un ou plusieurs points qui en font partie. »
L’une de ces activités, dont le thème est la rotation du ciel nocturne, demande ainsi le développement de connaissances sur le système solaire et sur les notions de périmètre, de vitesse, de temps, etc. Une autre, qui vise à déterminer la hauteur d’une montagne lunaire, exige des aptitudes en algèbre et en trigonométrie. Les enseignants peuvent déjà s’appuyer sur une poignée de fiches complètes, mais d’autres sont en phase d’élaboration et traiteront, entre autres, des étoiles dites céphéides, des comètes, de Mars, des astéroïdes, des taches solaires et peut-être même des planètes extrasolaires.
Le clou de chaque activité est, bien sûr, la phase d’observation. Après avoir défriché le terrain théorique, l’enseignant et les élèves peuvent soit puiser dans les images d’archives, dont le nombre augmente sans cesse, soit programmer une observation depuis le portail Internet du Stellarium Gornergrat, auquel il faut s’inscrire préalablement. La nuit suivante, à l’heure voulue, l’appareillage se met en route automatiquement. La coupole s’ouvre sur le bon coin de ciel, les télescopes se mettent eux aussi en mouvement et pointent vers la cible.
Le lendemain, la classe reçoit le cliché et peut – selon son niveau – le traiter elle-même à l’aide de logiciels spécifiques. Cette opération assez spectaculaire permet de passer d’une image brute montrant une tache un peu floue à une représentation nette et riche en détails d’une planète voisine ou d’une galaxie située à des millions d’années-lumière de la Terre.
« Il existe une petite tradition de télescopes robotisés à la disposition des écoles, notamment aux Etats-Unis et en Australie, explique Andreas Müller. Mais ils sont généralement destinés à des enseignants déjà spécialisés en astronomie. Ce que le Stellarium Gornergrat propose de nouveau, c’est un matériel pédagogique très détaillé qui permet, en principe, à n’importe quel enseignant de se lancer dans une telle activité. »

Nombreux défis

L’automatisation des instruments de mesure, c’est Timm-Emmanuel Riesen et ses collègues et partenaires de Berne et de Fribourg qui l’ont réalisée. Contrôler le mouvement des télescopes et de la coupole, assurer le suivi des conditions météorologiques qui décident si l’observation peut avoir lieu ou si l’opération doit être annulée, enregistrer les demandes des utilisateurs répartis dans tous les pays : les défis sont nombreux et complexes. Tous les problèmes ne sont d’ailleurs pas encore résolus.
L’un d’eux concerne les mouvements de l’observatoire lui-même. En raison du réchauffement dû à l’exposition au Soleil qui dilate les éléments de la structure et à la fonte du permafrost sous l’hôtel, les tours de l’hôtel oscillent quotidiennement avec assez d’amplitude pour être perceptible lorsqu’il s’agit de viser un objet dans une direction très précise du ciel. L’achat d’un inclinomètre, un instrument généralement utilisé dans des constructions sensibles aux vibrations comme les barrages hydroélectriques, devrait résoudre le problème.
« Nous faisons face à des variations d’angle de l’ordre de la minute d’arc, explique le chercheur. Ce n’est pas grave pour le grand télescope de 60 cm ,mais c’est exactement la dimension du champ de vue des deux lunettes spécialisées dans l’observation des planètes du système solaire. Pour ces mesures spécifiques, nous devons à chaque fois corriger le pointage de l’instrument à la main. C’est pourquoi, nous ne pouvons pas encore offrir ce service de manière automatique. Mais le problème sera bientôt réglé. »
Ce sont des milliers de lignes de code qui gèrent le fonctionnement autonome du Stellarium Gornergrat. Lorsqu’il est sur place, ce qui arrive une fois par semaine, Timm-Emanuel Riesen dispose d’une petite salle de contrôle sous la coupole – avec une vue imprenable sur le Cervin, encore lui – d’où il peut apporter des corrections sur le logiciel en collaboration directe et en ligne avec Simon Ruffieux, informaticien à l’Université de Fribourg.
Les deux chercheurs reçoivent chaque jour un message électronique dressant le rapport des activités et des problèmes rencontrés durant la nuit précédente. Les risques d’incidents ne sont en effet pas négligeables. En cas de coupure de courant en pleine nuit, par exemple, ce qui est déjà arrivé quelques fois, une batterie électrique de sécurité peut prendre le relais. Il faut également veiller à ce que la coupole ne reste pas ouverte en cas de pluie et, surtout, que le grand télescope ne pointe pas directement vers le Soleil. Une seconde d’exposition suffirait à endommager la caméra de l’appareil.

Pour tous les renseignements : https ://stellarium-gornergrat.ch/

Contact Genève : stephane.gschwind(at)edu.ge.ch
(support direct pour enseignant-e-s intéressé-e-s possible)

Contact Berne : timm.riesen(at)csh.unibe.ch

 

le meilleur observatoire d'Europe centrale

L’Observatoire du Gornergrat est construit dans les années 1960. Il est alors censé seconder l’Observatoire du Jungfraujoch, dans le canton de Berne, qui, à cette époque, n’arrive plus à répondre à la demande des scientifiques.
Au sommet du Gornergrat, à 3100 mètres d’altitude, les deux tours du Kulmhotel, bâtisse érigée entre 1897 et 1907 au terminus d’une ligne de train à crémaillères au départ de Zermatt, représentent une plateforme parfaite pour recevoir des coupoles et des lunettes astronomiques.
De l’avis général, le site du Gornergrat est le meilleur site d’observation astronomique d’Europe centrale. Le ciel est souvent dégagé, la nuit peu polluée par les lumières urbaines, et les glaciers qui l’entourent créent une atmosphère particulièrement stable, plus qu’au Jungfraujoch, particulièrement exposé aux vents.
Malgré cet avantage, la question de l’avenir de l’observatoire du Gornergrat se pose dans les années 2000. En matière de recherche scientifique de pointe, il n’est plus imaginable pour cette installation somme toute modeste de trouver sa place parmi des géants tels que le Very Large Telescope au Chili ou le Keck à Hawaï.
La Fondation « High altitude research stations Jungfraujoch and Gornergrat » explore alors différentes pistes pour trouver des personnes désireuses d’utiliser l’installation sur les hauts de Zermatt.
À la même époque et de manière indépendante, Didier Queloz, actuellement professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et à l’Université de Cambridge au Royaume-Uni, propose l’idée d’un observatoire astronomique robotisé à visées pédagogiques dans le cadre d’un projet de Pôle de recherche national monté en collaboration avec l’Université de Berne.
Assez logiquement, les deux projets finissent par se rencontrer et donnent naissance au projet pédagogique « Stellarium Gornergrat ». Pour se démarquer de ce qui se fait déjà par ailleurs, le concept prévoit un volet pédagogique particulièrement développé afin d’accompagner le plus possible les enseignants dans la démarche.
Le projet est soutenu dès le départ par la commune de Zermatt et, plus tard, par le Fonds national de la recherche scientifique dans le cadre des projets Agora..