Campus n°132

Au pied du tombeau de la première régente de l’Égypte ancienne

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Les fouilles menées cet automne à saqqâra par l’équipe de Philippe Collombert ont débouché sur une série de découvertes qui laissent penser que l’épouse des pharaons Pépy Ier et Mérenré a joué un rôle politique de premier plan.

Peu de femmes ont régné sur l’Égypte ancienne. Née plus de deux mille ans avant la célèbre Cléopâtre et près d’un millénaire avant la puissante Hatchepsout, Ankhnespepy II pourrait bien être la première d’entre elles. Épouse de deux pharaons de la VIe dynastie (Pépy Ier, puis Mérenré) et mère d’un troisième (Pépy II), elle a vraisemblablement tenu seule les rênes du pouvoir alors que son fils était encore enfant. C’est en tout cas la thèse que défend Philippe Collombert, professeur ordinaire au Département des sciences de l’Antiquité (Faculté des lettres), au vu de la série de découvertes réalisées cet automne sur le site de Saqqâra, à une vingtaine de kilomètres au sud du Caire.
Chargée depuis une dizaine d’années d’explorer la nécropole du roi Pépy Ier dans le cadre de la Mission archéologique franco-suisse de Saqqâra, l’équipe de Philippe Collombert a consacré l’essentiel de la campagne de fouille 2017 à l’examen de ce qui reste du complexe funéraire de sa compagne.
«La chambre funéraire de la reine Ankhnespepy II a été découverte en 2000 et sa pyramide principale est identifiée depuis 1998, précise l’égyptologue. Notre objectif consistait donc surtout à dégager la partie où se trouvaient son temple intime et ses alentours. Et le moins que l’on puisse dire c’est que nous sommes allés de surprise en surprise.»

Obélisque en kit

Dès les premiers jours de travaux, c’est un bloc de granit taillé de près de 2,5 mètres de long pour une section de 1,10 mètre de côté qui apparaît ainsi sous plusieurs couches de gravats. La trouvaille est de taille, au propre comme au figuré, puisqu’il s’avère rapidement que l’objet – attribué à la reine Ankhnespepy II grâce à la présence d’un cartouche – constitue le plus important fragment d’obélisque datant de l’Ancien Empire retrouvé à ce jour.
Les chercheurs n’auront cependant guère le temps de se congratuler puisque dans le même périmètre un autre objet d’une hauteur de 1,30 m pour 1,10 de largeur surgit bientôt des sables. Les dimensions correspondant et la pierre utilisée étant la même, les chercheurs pensent tout d’abord qu’il s’agit de la partie sommitale du deuxième obélisque, ce type de monolithe allant toujours par paire dans l’Égypte ancienne.
Après avoir dégagé l’objet dans son entier, cette hypothèse est toutefois remise en question par la présence d’un système de fixation (chevrons et mortaise) à sa base. Cette façon de procéder n’a jamais été constatée pour un obélisque, mais elle est cohérente pour la pièce destinée à coiffer le sommet de la pyramide, laquelle est par ailleurs toujours réalisée dans un matériau différent de celui utilisé pour la construction de cette dernière. Il pourrait donc s’agir du pyramidion qui ornait la pyramide satellite de la reine Ankhnespepy II, édifice dont l’emplacement a récemment été identifié par les égyptologues de la mission franco-suisse.
« Nous avons cru à cette piste jusqu’au moment où nous avons retrouvé un bloc du parement de cette pyramide satellite encore en place, explique Philippe Collombert. Nous nous sommes alors aperçus que la pente des deux objets était différente et qu’ils n’étaient pas compatibles. Si étonnant que cela puisse paraître, cet élément devait donc bel et bien constituer le seul exemplaire d’obélisque en kit de l’histoire de l’Égypte ancienne connu à ce jour. Ce que nous avons pu prouver de façon presque certaine en tombant quelques jours plus tard sur un fragment de granit s’emboîtant parfaitement sur la base de cette pièce et portant une trace de cartouche identique à celui retrouvé sur le premier obélisque. »
Quant à la raison ayant conduit à cette solution inédite, elle reste mystérieuse, même si on peut raisonnablement penser que ce choix est lié à un accident survenu soit lors de la fabrication du monument, soit lors de son érection. Autre énigme : l’emplacement où ont été retrouvés les deux blocs, qui se trouve à plusieurs dizaines de mètres de l’entrée du dispositif funéraire d’Ankhnespepy II, lieu où ce genre d’ornements se trouvent habituellement.
« Ces éléments ont peut-être été déplacés à une époque ultérieure par des carriers, avance Philippe Collombert. Ils ont peut-être également été endommagés lors de leur transport et laissés là par les ouvriers sans que l’on sache vraiment pourquoi. Il est également possible que ces pierres ne soient jamais parvenues à leur destination définitive. En fait, la seule chose dont nous sommes certains, c’est que leur taille – qui a pu être estimée à 5 mètres – est bien supérieure à celle des obélisques des autres épouses de Pépy Ier (qui font environ 2 mètres de hauteur), ce qui constitue une preuve supplémentaire de l’importance d’Ankhnespepy II et du rôle de premier plan qu’elle a joué au niveau politique. »


Traitement royal

Trois autres indices tendent à consolider un tel scénario. Tout d’abord, la présence dans la chambre funéraire de la reine de formules liturgiques appartenant au corpus des Textes des pyramides, privilège qui était jusque-là l’apanage des pharaons. Ensuite, la découverte de traces attestant l’utilisation d’albâtre pour la réalisation du dallage du temple réservé à son culte, procédé qui, une fois encore, est habituellement réservé aux souverains. Enfin, la mise au jour d’un fragment de texte de consécration retrouvé dans le même lieu sur la face antérieure d’une pièce de calcaire qui a été retaillée à une époque postérieure pour servir de fût de colonne, projet qui, heureusement pour les chercheurs, n’a jamais abouti.
Répartis sur quatre colonnes, les hiéroglyphes qui y figurent énumèrent les différentes matières utilisées pour la construction du temple de la reine. À la fin de cette liste, figure une mention qui a retenu toute l’attention de Philippe Collombert et de ses collègues et que l’on peut traduire de la façon suivante : « Sa majesté (le roi Pépy II, ndlr) a agi pour elle (la reine Ankhnespepy) quand elle était dans la résidence (le palais). »
« Cette formulation un peu énigmatique est sans doute une manière cachée de dire que la reine a assumé l’exercice du pouvoir de manière effective, explique le professeur. Dans l’idéologie pharaonique, le roi, de par sa nature semi-divine, dispose en effet de toutes les capacités intellectuelles pour régner dès avant sa naissance et il n’est pas question que quiconque se substitue à lui. Ces quelques mots permettent de dire l’indicible et de manifester la légitimité de la souveraine sans choquer les croyances de ses contemporains. Si cette interprétation est correcte, nous sommes donc en présence du premier texte de l’Égypte ancienne décrivant le phénomène de régence. »

 

énigme pour une tête de bois


À proximité des deux fragments d’obélisque de la reine Ankhnespépy II retrouvés cet automne (lire pages précédentes), les membres de la Mission archéologique franco-suisse de Saqqâra sont tombés sur une énigme supplémentaire: une tête sculptée en bois grandeur nature qui, a priori, n’avait rien à faire là.
La finesse des traits, en particulier de la bouche et du regard, ainsi que l’aspect élancé de l’ensemble collent en effet mal avec le style de la statuaire de l’Ancien Empire caractérisé par des faciès larges, des nez épatés et des pommettes saillantes.
Ils rappellent en revanche furieusement quelques bustes célèbres (dont celui de Nefertiti) de l’époque du Nouvel Empire, une période se situant près de 800 ans après la disparition de l’épouse de Pépy Ier.
La pièce découverte à Saqqâra présente par ailleurs certaines caractéristiques (long cou, larges boucles d’oreilles en disque, absence de chevelure, traces de peinture) qui la rapprochent d’autres têtes, toutes datées de la XVIIIe dynastie. Des objets qui servaient très probablement de support à perruques pour les femmes de la haute société.
« De deux choses l’une, explique Philippe Collombert, professeur à l’unité d’égyptologie (Faculté des lettres). Soit cette tête provient bien du Nouvel Empire et on ne sait pas très bien comment elle s’est retrouvée là, dans la mesure où ces objets étaient destinés à de grandes tombes privées dont on n’a pas de traces pour l’instant à Saqqâra-sud pour cette période. Soit elle date bien de l’Ancien Empire et il s’agit d’une trouvaille exceptionnelle. »
Pour en avoir le cœur net, il faudra toutefois attendre les résultats de l’analyse de datation au carbone 14, qui est prévue dans le cadre de la prochaine campagne.