Campus n°117

Sur la trace du mercure chez les chercheurs d'or du Sénégal

A l’est du Sénégal, Les orpailleurs clandestins extraient l’or de manière artisanale en utilisant du mercure. L’usage de ce métal provoque une pollution de l’environnement qu’un doctorant de l’UNIGE a étudiée durant quatre ans

Immobilisé au milieu du Niokolo Koba dans le sud-est du Sénégal, Birane Niane voit non sans appréhension le soleil descendre vers l’horizon. Deux pneus de son véhicule ont explosé en même temps, manquant de peu de l’envoyer dans le décor. Le doctorant à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement (Faculté des sciences) est seul en pleine brousse, dans un parc connu pour sa faune d’une grande richesse et notamment pour ses lions. Plus que pour lui-même, il craint pour son précieux chargement: des échantillons d’eau, de sol, de chair de poisson et de cheveux humains, qui doivent être maintenus à une température de 4°C. Tout serait perdu s’il devait passer la nuit dans le parc, loin de toute source d’électricité pour alimenter le petit réfrigérateur installé à l’arrière de sa voiture. Et la thèse qu’il compte soutenir prochainement à Genève sur l’orpaillage clandestin dans la région reculée de Kedougou et la contamination au mercure qu’il engendre pourrait prendre un sérieux retard.

Ce n’est pas première fois que les pneus le trahissent depuis qu’il a commencé ce travail. Au début de cette campagne de juin 2013, ses gommes déjà bien lisses ont perdu l’adhérence avec la route et l’ont envoyé dans une profonde ornière dont il n’a pu sortir qu’avec l’aide des habitants de l’endroit. Et, en 2011, quand il s’est rendu pour la première fois sur le terrain en compagnie de son directeur de thèse Robert Moritz, professeur associé au Département des sciences de la Terre, il a carrément fallu acheter quatre nouveaux pneus avant même de prendre la route. Ceux équipant le véhicule étaient usés jusqu’à la corde, jamais ils n’auraient tenu le coup durant les 12 heures de route qui séparent Dakar, la capitale, de leur destination, les rives du fleuve Gambie et les mines d’or situées dans la partie la plus orientale du Sénégal.

Proche des zones aurifères historiques du Mali et du Ghana, la région de Kedougou connaît depuis dix ans un développement important de l’orpaillage artisanal. Les chercheurs d’or, issus des populations locales mais, aussi, de plus en plus souvent des pays voisins, suivent comme un essaim d’abeilles les compagnies minières officielles qui exploitent les filons au gré de leurs découvertes. Ces mineurs artisanaux ne disposent cependant pas des mêmes moyens que l’industrie pour extraire le précieux métal. Leur technique, c’est le mercure. Le problème, c’est que c’est interdit. Et pour cause: ce métal liquide est extrêmement toxique pour l’environnement et la santé (lire encadré en page XXX).

Poële à frire Les chercheurs d’or ne s’en soucient guère. Leur mode opératoire consiste à creuser un trou dans le sol ou à prélever les alluvions le long du fleuve Gambie. Ils en extraient le minerai et le concassent jusqu’à le réduire en poudre. Ils y ajoutent ensuite le mercure pour former une sorte de pâte grise qu’ils pétrissent à mains nues comme du pain. L’idée est d’augmenter le rendement de l’exploitation. Le mercure possède en effet la capacité de se lier facilement à l’or et peut ainsi concentrer jusqu’aux particules les plus fines du métal jaune. L’amalgame mercure-or est ensuite isolé du reste de la pâte de roche puis chauffé dans une poêle à frire placée sur un réchaud à gaz afin d’évaporer le mercure, qui est un élément très volatil. Au final, il ne reste donc plus que l’or.

Au cours de cette opération, le mercure s’échappe massivement dans l’air mais aussi dans le sol et dans l’eau. Là, les bactéries transforment le métal lourd en méthyl-mercure qui est ensuite absorbé par le phytoplancton. Il entre ainsi dans la chaîne alimentaire pour ne plus en sortir. Il s’y accumule et se concentre au fur et à mesure que l’on gravit l’échelle des prédateurs. Les poissons piscivores sont les plus intoxiqués. Ils sont attrapés par les pêcheurs locaux qui les consomment et sont contaminés à leur tour.

Bien qu’il soit récent au Sénégal, le phénomène est archi-connu. Il se répète dans de nombreuses régions d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie. Les gouvernements concernés et l’Organisation des Nations unies en sont conscients et il existe de nombreux programmes pour tenter d’y remédier. Sans grand succès toutefois. L’appât du gain immédiat et la nécessité de faire vivre sa famille prime généralement sur le risque sanitaire. Celui-ci est d’autant moins visible que les populations concernées sont très mal informées à ce sujet.

Originaire du Sénégal, Birane Niane a voulu étudier l’étendue de la contamination au mercure dans l’est de son pays. Son travail est à bout touchant. Dans son petit frigo, qui menace maintenant de se réchauffer et de rendre son contenu inexploitable, il transporte les derniers échantillons qu’il a prélevés sur le terrain. Tous ses efforts risquent d’être réduits à néant.

Refus catégorique Car approcher les populations de la région de Kedougou et obtenir leur collaboration n’a pas été facile. Même pour lui, pourtant sénégalais. Natif de Dakar, la grande ville de l’Ouest, et ne parlant pas la langue locale, il a d’abord éveillé des soupçons chez les orpailleurs clandestins qui, pendant un an et demi, ont catégoriquement refusé qu’il prélève des échantillons de leurs cheveux. L’analyse de ces derniers représente une des méthodes pour mesurer le taux de mercure concentré dans l’organisme.

Le médecin-chef de la région lui a alors conseillé de passer par un réseau mis en place pour les campagnes de vaccination et qui compte des relais dans chaque village. C’est ainsi que les portes se sont entrouvertes et les langues déliées. Il a pu distribuer des questionnaires et même prélever des cheveux.

Mais Birane Niane a dû rester prudent. Hors de question de prononcer le mot «mercure», par exemple, un terme banni du vocabulaire puisque l’acquisition de ce métal est illicite. Ici, tout le monde parle du «produit». Il est importé en contrebande et s’échange dans de petits sacs en plastique sans autres précautions.

Pollution silencieuse Les résultats préliminaires ont pu démontrer qu’après seulement dix ans d’orpaillage clandestin dans l’est du Sénégal, une pollution silencieuse au mercure s’est installée. Les sols et sédiments des points d’eaux proches des exploitations artisanales et des lieux où se pratique l’amalgame de l’or sont contaminés à des taux entre 10 et 100 fois plus élevés que dans les zones plus éloignées. Les petits poissons pêchés dans le fleuve Gambie présentent des concentrations de mercure allant jusqu’à 0,5 milligramme par kilogramme de chair fraiche, ce qui est la limite recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce taux triple toutefois chez leurs prédateurs comme le brochet africain.

Les communautés humaines ne sont pas épargnées bien que les cas d’intoxication dépassant les normes en vigueur aux Etats-Unis (qui sont deux fois plus sévères que celles de l’OMS) soient encore rares. De manière générale, les taux de mercure mesurés dans les cheveux des occupants des sites d’orpaillage augmentent avec la fréquence de consommation de poisson. Les intoxications les plus importantes ont lieu dans les villages isolés plutôt que dans la grande ville de la région où l’activité d’amalgamation de l’or est inexistante et où l’alimentation est plus diversifiée.

Dans les communautés traditionnelles encore très attachées à la séparation des tâches, une différence apparaît entre hommes et femmes. Les premiers, qui réalisent les travaux lourds d’extraction et de concassage du minerai sont moins exposés que les secondes qui manipulent le mercure. Finalement, des traces de métal sont également présentes dans les cheveux d’enfants âgés de 0 à 7 ans. Il s’agit là d’un héritage de leur mère qui a ingéré du mercure lors de sa grossesse et l’a transmis au fœtus.

En général, les taux sont sous la limite admissible mais il est urgent de prendre des mesures pour éviter que la situation ne s’aggrave. La difficulté réside dans le fait que l’or représente souvent la seule source de revenus pour ces familles. Les en priver risque de les renvoyer dans la misère.

Distiller l’amalgame La solution passe inévitablement par une meilleure information des populations rurales et par l’évolution des techniques d’extraction. Il existe d’ailleurs des dispositifs, s’apparentant à des alambics, qui permettent de récupérer – et de recycler – les vapeurs de mercure. Chaque village pourrait en posséder un et les orpailleurs viendraient y «distiller» leur amalgame. Le système est très efficace mais, dans les faits, quasiment pas utilisé. Les orpailleurs y voient une manœuvre du gouvernement pour les arrêter ou les taxer.

Bref, il y a encore du pain sur la planche, songe Birane Niane, toujours coincé au beau milieu du Niokolo Koba, lorsqu’il aperçoit, au loin, un véhicule s’approcher. C’est un camion. Le chauffeur accepte de l’emmener au centre qui gère le parc. Les gardiens, sensibles aux arguments scientifiques du doctorant, trouvent deux roues de secours et retournent avec lui vers la voiture laissée en rade à 5 km de là. Birane Niane peut alors reprendre sa route. Juste avant la nuit, il trouve un endroit où loger à Tambacounda, le premier village à la sortie du parc. Sa précieuse cargaison est sauvée. Elle sera acheminée sans encombre jusqu’à Genève.

Anton Vos

Les effets du mercure sur la santé

Il y a des renommées dont on se passerait volontiers. C’est le cas de celle de la ville de Minamata au Japon. Dans les années 1950, une «étrange maladie» y fait son apparition parmi la population de pêcheurs. Des mains et des pieds paralysés, des difficultés à marcher et à parler, puis des convulsions et des morts. En 1956, sur 54 patients identifiés, 17 sont décédés. Aujourd’hui, 65 000 personnes ont demandé à être considérés comme atteints par la «maladie de Minamata», à des degrés de sévérité divers, et à toucher une indemnité des autorités nippones. La cause de cette épidémie? Des quantités spectaculaires de mercure déversées entre 1932 et 1968 directement dans la baie de Minamata par l’usine chimique Shin Nippon Chisso Hiryo, provoquant l’une des plus désastreuses pollutions industrielles de l’histoire.

Le mercure (concentré sous forme de méthyl-mercure dans les poissons et les fruits de mer) est un neurotoxique. Une consommation à trop haute dose peut causer des affections neurologiques, des maladies auto-immunes ou encore des malformations congénitales. On estime que 37% de la pollution au mercure provient aujourd’hui des mines d’or artisanales.

En octobre 2013, 147 pays ont signé la Convention internationale de Minamata sur le mercure visant à réduire les émissions de mercure par les centrales au charbon et autres installations industrielles; à éliminer cet élément d’ici 2020 de nombreux biens de consommation; à diminuer l’usage du mercure dans les amalgames dentaires et à fermer toutes les mines de mercure 15 ans après que la convention soit entrée en vigueur, soit lorsque 50 pays l’auront ratifiée.