La Mission de l’idée ()

II a

Songez à la force de l’idée de liberté.

Faites défiler devant vos yeux le nombre infini de ceux qui ont combattu pour l’idée, les hommes du désert qui jadis venaient lancer à la face du peuple des Hébreux l’idée qui seule l’a fait vivre, le Grec divisé qui, parce qu’il avait l’idée, refoula la tourbe des armées perses, les réformateurs, les révolutionnaires et tous ces géants de l’idée qui ont imposé à des peuples entiers les plans de leurs cerveaux féconds.

Pensez à l’idée de patrie, qu’a brandie le peuple romain pour remuer, jusqu’en ses fondements, tout l’univers antique.

Comptez le peu d’idées qu’il a suffi au christianisme de lancer dans le monde, pour en changer la face.

Et, quand vous aurez médité sur l’élan déclenché par l’idée, quand vous aurez compris sa réalité intime, songez à ce fait extraordinaire que chacune de ces idées, restées inépuisables, devient toujours nouvelle. Autant de cerveaux d’hommes et autant de formules pour saisir en sa source la liberté, la patrie, la justice.

La vallée est restée semblable, malgré le cours des âges. Les parois des rochers gris ont enduré sans crouler la tempête et le gel. Le lac dont l’eau noire reflète depuis mille ans la nature immuable et silencieuse remplit l’âme du voyageur de ce repos éternel des choses. Et pourtant, toujours nouveaux sont les bouillonnements écumeux qui surgissent du pied des rochers. Toujours remuant est le fond de la nappe, dont la surface reste figée. Toujours mouvante est la rivière qui déverse ses flots au travers des cailloux polis.

De même, l’idée semble à l’aveugle rester la même de siècle en siècle, quand, sous ce dehors serein, grondent les soubresauts de la vie. Pauvre et froide, vue de l’extérieur, elle ne peut livrer qu’une seule partie d’elle-même à celui qu’elle saisit, tant sa richesse est grande et sa diversité infinie.