XXVIII a đź”—
C’était durant la grande année.
Et voici, c’était le crépuscule. Le soleil avait disparu derrière la plus lointaine des montagnes et une vague note rouge illuminait encore le trou de la vallée. Le ciel était bleu pur et si pâle que des traînées vertes le sillonnaient par places. L’ombre s’étendait sur la plaine et la musique de l’air se faisait douce et triste.
Un poids énorme oppressait toutes les âmes.
Et alors, les cloches s’ébranlèrent et dans les Églises s’entassèrent les fidèles.
Et pendant ce temps des hommes erraient seuls et s’ouvraient à l’idée.
Folie ! s’écriaient les voix dans le silence des temples, les hommes sont insensés. Remettons-nous à Dieu, et il nous élèvera. La fin des âges approche, le Seigneur va venir. Plus que jamais il est temps. Convertissons-nous, regardons à l’au-delà et nous serons sauvés.
— Pitié, soupiraient les solitaires, les hommes sont aveuglés. Courons au milieu d’eux, et Dieu nous aidera. Une naissance approche : nous marchons au progrès. Moins que jamais il faut désespérer. Oublions-nous nous-mêmes, regardons l’avenir et Dieu sauvera l’homme.
— Dieu est en courroux, clamaient les chaires chrétiennes, et la terreur s’emparait des âmes pieuses. Et de grands cris stériles s’élevaient des sanctuaires pour apaiser le justicier terrible, dont la sainte colère déchaînait les passions, torturait les peuples et sauvait les chrétiens.
— Dieu pleure avec nous, pensaient les solitaires et un amour immense emplissait leurs esprits. Une pitié vraie les soulevait alors pour seconder le Dieu impuissant, dont l’absolue charité gémissait méconnue, pardonnait aux coupables et déclenchait l’idée.
Et je compris le vide sépulcral des cultes de l’Église, et la beauté de la vie pour l’idée. Et je compris la démission du christianisme dont les lèvres muettes avaient en vain remué vingt siècles pour honorer le Seigneur, et la bonté de Dieu, dont l’amour ignoré saignait sur nos malheurs.
Mort aux cultes païens, aux lamentations mesquines qui implorent le salut, aux damnations orgueilleuses des péchés d’autrui, aux calculs intéressés qui profanent et tuent les richesses du Christ.
La guerre vient nous l’apprendre : c’est de la solitude du sacrifice, des angoisses de la lutte en commun, du repos des infirmeries, que s’élève le vrai culte ; c’est des tourments de l’âme, de la charité sans bornes, de l’amour dans l’action, et non des temples orthodoxes, dont les voûtes renvoient dans le néant les soupirs inutiles de croyants égoïstes.