La Mission de l’idée ()

XXXII a

La première condition du salut de l’Église, c’est le changement de ses croyances sacrées.

Tel le fruit qui mûrit au soleil croît jusqu’au moment où une coquille s’est faite de sa substance. Et alors l’écorce dont il s’est recouvert se fige et l’enserre, empêchant pour jamais tout progrès à venir si la force de la vie ne brise cette coque et ne s’élance dehors.

Ainsi la piété, toute faite de vie, se recouvre d’une croûte, nécessaire mais dangereuse, protectrice mais efféminante, et qui devient avec l’âge uniquement funeste, dès qu’elle s’immobilise en se durcissant au contact des souillures d’alentour.

Brisons cette écorce, et le noyau germera magnifique. Le christianisme possède en son sein des forces latentes qui sauveront le monde. C’est ce germe obscur qui est l’Idée : la coque est morte, bien que seule apparente aux yeux qui ne voient pas.

Mais l’évolution des croyances est douloureuse. Elle suppose une réalité solide dans la vie même du chrétien, et c’est ce qui nous manque. Quand on a une foi du cœur assez ardente et sûre, des convictions pratiques suffisamment fortes, une compréhension sympathique des réalités divines assez inébranlable, alors on peut douter par la pensée, chercher et abattre, sans que l’angoisse du cerveau détruise l’élan de l’âme. Alors on peut sonder les croyances habituelles, rejeter ce qui est en scandale à la raison ou à la morale, et tenter dans la nuit de rebâtir la maison qui s’écroule.

Mais, s’il n’a pas la vie, malheur à celui qui voit le vide des dogmes de l’Église, malheur à celui qui doute des enseignements sacrés, car tout ce qu’il cherche à comprendre n’est que verbiage, comme un rythme sonore dont le sens est absent.

Si nous avons la vie, osons tout remuer, dénonçons sincèrement les scandales de la sanction divine et de l’expiation païenne, les sophismes de la dogmatique alambiquée ou les superstitions des croyances enfantines, car nous avons la foi que la vérité est dans le Christ et que plus profond on ira mieux on trouvera Dieu : la raison n’est pas faite pour combattre le cœur.

Saisissons par le sentiment la réalité de notre nature mauvaise, l’étendue de nos fautes, la nécessité du pardon, car ce domaine n’est pas de notre intelligence. Faisons ensuite l’expérience vivante de la conversion en Christ, de la nouvelle naissance, de la paix intime et du don de soi-même. En un mot suivons l’enseignement de Jésus et de Jésus seulement. Puis, car c’est notre devoir, essayons de comprendre, cherchons toute notre vie, avec foi, sincèrement, et surtout avec l’indépendance que demande la raison. Et que nous trouvions ou non, que nous gardions les explications de l’Église ou que nous les rejetions, peu importe : l’interprétation du fait n’est pas la religion et si nous avons le fait, nous sommes frères en Christ.

Mort à l’orthodoxie qui a remplacé le fait par son explication, nouvelle prostitution de l’idée créatrice.