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Il est un égoïsme des patries, plus terrible encore que celui des individus.
L’individu a une âme, une âme petite, unité minuscule au sein de la vie sans borne, et quand l’individu détourne à son profit les forces qu’il contient, la vie le tue et lui passe dessus.
L’âme de la patrie est immense. Quand bien même les individus sont mauvais et luttent les uns contre les autres, quand bien même ce qui est visible de la patrie est en proie aux passions les plus viles, si l’âme collective se réveille, tous lui sont sur le champ asservis. Et si même, comme on l’a vu, cette âme est trop menacée, sa force est telle qu’elle aveugle les individus, dénaturant leur critique, leur morale et jusqu’à leur religion.
Si l’âme de la patrie détourne à son profit la vie, le mal est effrayant.
Et c’est là que, non contents de se retrancher eux-mêmes du courant vivifiant, les conservateurs voudraient nous mener ! Ressaisissons-nous, car l’heure est solennelle.
Comme l’individu, la Patrie est capable de beauté, d’élévation, de sublime. Et comme lui, elle n’arrivera à la vie vraie que par le sacrifice, que par la force de l’idée, l’accord avec la vie.
Ayons le courage d’avoir pour nos patries l’idéal que nous avons pour nous-mêmes, et, si nous les aimons vraiment, plaçons au-dessus d’elles l’Humanité future, car ce n’est que dans le renoncement absolu en face de cette réalité plus grande que la patrie atteindra son apogée.
Et voici encore un signe de progrès : 1914 nous a montré la plus haute manifestation de la patrie, dans le sacrifice au devoir, à la vie, accompli par l’âme tout entière d’une nation unique : la patrie belge.
Telle est la mission que nous devrions tous désirer pour nos patries à nous, si nous avions encore la moindre foi en la vertu, en la vie et en Dieu.
Stigmatisons, car l’Idée le permet, cet esprit mesquin qui n’a vu jusqu’ici la Patrie que dans son intérêt, son armée, son commerce. Haïssons le patriotisme étroit car, pareil à l’orthodoxie, il n’est qu’un conservatisme sectaire.
Et, comme nous croyons que dans l’avenir lointain, seuls parmi les hommes ceux qui auront vécu de sacrifice et d’amour subsisteront dans la vie, de même croyons que seules parmi nos patries, celles qui auront vécu de renoncement et d’idéalisme contribueront à former cette humanité absolue qu’appellent nos vœux et que créent nos élans.
Car telle est la loi de la vie.