La Mission de l’idée ()

III a

L’automne revient ; le calme triste d’une nature d’autant plus belle qu’elle se meurt lentement donne à l’âme l’angoisse des départs ; l’air se remplit de ces litanies où les cloches des troupeaux et la sonnerie des églises se mêlent à la voix de la nature entière ; vers le soir, le soleil qui rêve sur les montagnes recouvre d’un long baiser l’horizon empourpré.

Malheur au jeune homme que ne soulève pas le souffle de l’idée !

Par une nuit épaisse, les nuages s’amoncellent sous un ciel pesant ; dans la plaine morte, le vent fait siffler les peupliers ; au sein des forêts le silence éveille dans l’âme une angoisse indicible et le lac laisse entendre, au fort de la tourmente, des voix humaines qui glacent le voyageur.

Malheur à celui que ne réchauffe pas l’idée !

Le printemps renaît, le dégel éclate en mille sons joyeux, un bruit vague et immense soulève par instants la nature entière, le ciel purifié redonne à l’esprit sa fécondité et ses élans mystiques, une jeunesse nouvelle ranime toutes les forces latentes.

Malheur au vieillard qui n’a pas vécu pour l’idée !

Dans les heures héroïques, une guerre, une révolution réveillent en une nuit toutes les vies cachées, toutes les passions bonnes, toutes les vertus, tous les élans, tout le tréfonds de l’âme des peuples et des individus, un vent d’idéalisme retourne les nations et secoue l’humanité ; tout ce qui s’oppose à la marche de l’idée est réduit à néant ; la patrie, la liberté, l’humanité, la justice, la religion, produisent à foison les sacrifices, qui sont la plus sublime affirmation de l’homme.

Malheur à celui pour qui ces choses sont nouvelles !

À la fin des âges, seuls ceux qui auront vécu par l’idée se retrouveront ensemble, car ensemble ils se seront maintenus dans le courant de la vie ; l’humanité trouvera sa raison d’être en Dieu et Dieu recouvrera la puissance que lui enlevait le désordre de sa créature ; toute lutte aura cessé, les hommes n’auront plus à se torturer pour atteindre la vertu.

Malheur à celui qui aura déserté le parti de l’idée !