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1923-10-11, Denis de Rougemont à Antoinette de Rougemont

Chère Toinette,

Maman me demande de t’expédier des Semaine littéraire avant 6 ½ h. pour que tu les aies encore dimanche, et je me dépêche de t’écrire sur du papier ad hoc (que j’emploie pour écrire mes impros.) Tes deux lettres, lues et commentées en public, donnent une idée très complète du patelin où tu vas vivre cet hiver, dans le classique cottage isolé, près de la classique rectory, sous les non moins classiques brumes. C’est à peu près ce que l’on pouvait attendre, et ça ne doit pas t’avoir beaucoup surpris. De là peut-être l’ennui (raisonnable !) qui perce un peu dans ta dernière lettre.

Mais je te parle de toi, et ce n’est pas, je suppose, ce que tu attends de nos lettres, qui sont censées, plutôt, te renseigner sur nos faits et gestes.

[p. 2] Je suis en vacances depuis aujourd’hui, pour une semaine. Après quatre jours de tempête, beau absolu : des Alpes qui ont l’air d’être au bout de la plaine, des couleurs prodigieusement vives, la lumière de l’après-midi, à travers les arbres des DuPasquier, et la rumeur des vendanges. Puis vers le soir des souffles frais et doux mélangés qui font croire à un printemps commençant. C’est presque désagréable. Mais tu dois connaître ce sentiment. C’est curieux comme chaque année, on éprouve les mêmes impressions aux mêmes époques, bien qu’on se sente parfois si différent de ce qu’on était un an auparavant. Et certes c’est un privilège de pouvoir comme tu le fais sortir du cycle habituel des sensations et des décors.

On dansera samedi soir au Pury-Palace, où personne de ma bande n’est convié, sauf naturellement Tuty [p. 3] qui fera une drôle de figure au milieu des Anglais et des « né de mère roumaine (et) de père juif errant » (ça fait un alexandrin.) Danse aussi à Sombacour, où [Fonfon] m’a invité, pour la semaine prochaine.

J’entre à Étude après les vacances, sans enthousiasme.

Quelles lectures fais-tu ? Si tu désires quelques bouquins dis-le. En attendant, voici l’histoire de [Patuel], encadrée d’articles médiocres ou politiques. De quoi occuper un dimanche où vraiment tu n’aurais rien d’autre à faire.

6 heures 10. J’ai perdu du temps à lisoter ces 2 numéros.

Au revoir, c’est-à-dire à la prochaine lettre.
Ton frère affectionné
Topinet

 

P.-S. Un fâcheux concours de circonstances est cause que cette lettre n’est pas partie jeudi, mais va partir vendredi soir. Je viens de voir Jacqueline qui me dit que tu es attendue avec impatience chez Miss Wilson.

[p. 4] Maman fait beaucoup remercier Madame H. pour sa très aimable lettrea.