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1942-10-05, Alice et Georges de Rougemont à Denis de Rougemont

Mon bien cher,

Tu pourras rire en pensée avec tes copains et ton ami Ph. Clerc qui t’adressaient encore tous leurs regrets de ton absence et leurs signatures. — Nous voilà aux vendanges, le temps continue à être splendide et le raisin l’est aussi. On en cueille en assez grande quantité pour les magasins, heureusement. — Toinette espère que tu auras reçu sa lettre, malgré ton changement d’adresse qu’elle ignorait. — Anne-Marie t’a aussi écrit. Son mari et elle viennent d’être bien occupés par la réception à Neuchâtel d’un congrès gynécologique. Gérard doit être content ! Pierrette est à Areuse chez son père, mais on ne la voit guère ! Elle a une superbe fille, toute blanche avec des yeux bleus. J’oubliais de signaler la grande représentation de Jedermann par Emerb, la scène était dressée dans une barque à sable, devant les quais, avec le lac comme fond. Il paraît que c’était beau. J’étais à Baden pendant ce temps.

Tu continues à voir des célébrités littéraires ! Je me demande si vous êtes rentrés, vous le serez du reste, en tout cas à la réception de ces lignes. Bon courage pour recommencer l’hiver. Que Dieu vous soit en aide à tous. La situation ne paraît guère s’améliorer.

Nos messages et tendres baisers.
Maman

 

[p. 2] Il paraît que les Willy Perrot demandent de vos nouvelles. — Ici, l’on s’informe constamment de ce que vous devenez ? Je relis ta lettre et vois que je puis te tranquilliser sur notre état alimentaire, rationné, mais très suffisant et bien augmenté par tous les légumes, le plan Wahlen, nous avons mis des pommes de terre dans notre champ, et faisons sécher à Colombier, haricots, prunes, etc. Maintenant c’est la question chauffage, qui va être envisagée, et les vieux poêles ou de nouveaux seront réquisitionnés.

Je ne sais si tu liras les plaidoyers émouvants des évêques de France et de Marc Boegner adressés au Maréchal en faveur des Juifs ?

 

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Mon cher Denis,

Je t’ai dit, je crois, que Plon m’a fait savoir qu’il tenait à ta disposition plus de f. 300 suisses, ta part de la vente de L’Amour et l’Occident. J’ai fait les démarches nécessaires pour toucher cette somme ; l’affaire est entre les mains du clearing ; elle aboutira avant longtemps. Lors d’une précédente visite que je lui faisais, Hauser n’avait pas encore reçu l’autorisation de Gallimard ; [Illisible] Hauser a été mobilisé, [Illisible] ne l’ai pas trouvé l’autre jour ; j’espère le voir avant longtemps, et pouvoir te donner la nouvelle que Gallimard consent à lui céder son droit sur Personnes du Drame. J’ai eu récemment la visite de Roland très désireux d’avoir des nouvelles ; tu n’as pas répondu à sa lettre, me disait-il. Il est plein d’allant et reconnaissant de pouvoir venir en Suisse avec ses enfants ([il en a 6]) pour se refaire [un peu], de temps en temps. Que n’êtes-vous à même, vous aussi, de rentrer en Suisse, non pour vous refaire, — vous ne souffrez pas des restrictions — mais pour nous réjouir.

Je vous embrasse tous.

Ton père aff.