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1951-06-26, Denis de Rougemont à Alice de Rougemont

Chère Mère,

Vite un mot pour te dire que je pars demain en vacances en Italie, pour quatre-cinq semaines. Vacances est une manière de parler : je dois passer plusieurs jours à Rome pour de nombreuses démarches auprès du gouvernement et de banquiers. Puis j’irai à Capri, où je puis habiter la villa de Graham Greene (l’auteur du Troisième homme et de La Puissance et la Gloire). Et là j’écrirai enfin un livre. Il me faut cela, me remettre à un travail personnel, pour mon équilibre intime.

Nicolas termine ses examens, assez mal. Je vais lui faire donner des leçons de latin intensives d’ici au 15 juillet. À Areuse, du 15 au 30, il faudra qu’il reprenne ses leçons de math et de physique avec si possible le même professeur, et un autre pour le latin. S’il rate ses examens le 3 septembre, je ne sais s’il pourra rester à l’École internationale. Il est dans une mauvaise passe, en pleine révolte froide, ironique et défaitiste — genre de sa mère, exactement, et un peu sous son influence, sans doute. C’est apparu subitement depuis quelques jours, et me donne beaucoup de souci. Il a besoin de discipline, d’être forcé — il le dit lui-même — et aussi, quoiqu’il le nie, de beaucoup [p. 2] d’affection. Il m’irrite vivement, et me fait grand pitié en même temps, car après tout il est victime des circonstances (Amérique, divorce, mère absente).

A.-M. va mieux, me semble-t-il, quoique se plaignant de maux de tête. Moi je suis bien fatigué, et ai grand besoin d’un changement d’air et de rythme.

Mon adresse dès le 3 juillet : Villa Rosaro : Anacapri, Pro. di Napoli.

Je te quitte pour faire mes bagages et liquider cent petites affaires en retard. Je serai de retour ici la première semaine d’août.

Je t’embrasse, chère mère, et te souhaite un été serein.
Denis