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1931-03-02, Denis de Rougemont à Alice et Georges de Rougemont

Chers parents,

J’ai eu plus que le pressentiment de la grippe de Papa, j’en ai eu la « Mitfühlung » puisque j’ai dû rester au pieu trois jours pour grippe intestinale aussi. Je suis bien content d’avoir eu ce repos forcé, car j’étais éreinté, et j’ai pu interrompre mes sorties du soir — tous les soirs depuis quinze jours et jusqu’à lundi prochain ! J’ai dormi presque sans arrêt pendant deux jours. Cette semaine, je prévois une relâche assez nette dans mon travail. Nous avons réussi à nous mettre à flot, à rattraper tous nos retards, et maintenant que j’ai assez de personnel, je puis faire faire bien des choses que je faisais moi-même auparavant. Peut-être que cela va me permettre de terminer quelques écrits auxquels [p. 2] je ne pouvais même plus penser, ces temps. J’ai la tête assez vide, à force d’avoir échangé des idées !

Je ne sais pas encore si je pourrai rester à Areuse du 28 au 6, ce serait merveilleux mais je n’ose pas trop l’espérer. En tout cas il faudrait que j’aille à Genève et Lausanne pour justifier en partie mon voyage. C’est toujours vis-à-vis du personnel que mes absences sont un peu embarrassantes, je crois qu’avec Caudron il n’y aura pas de difficultés. Je crains aussi que le numéro de Foi et Vie ne sorte juste à ce moment… J’ai toujours un surcroît de travail à ces occasions. Enfin… on tâchera.

C’est embêtant d’être perpétuellement grippé, gorge ou intestins ; sale hiver !

[p. 3] Si vous pouviez m’envoyer un paquet de tabac hollandais en cornet (2 fr.) cela contribuerait à me remettre. Il neige, ça fond à mesure, tout est humide et dégoûtant.

J’ai été samedi à un bal chez la directrice de la Mode Pratique, Mme de Broutelles, — après un charmant dîner chez les Jacques de Pury. Hier j’ai été chez les François Fosca, critique d’art connu et père (catholique) de R. de Traz. Partout je retrouve des connaissances plus ou moins genevoises, qui me font une grosse publicité et m’invitent tant et plus. Dîné avec Alix Naville-Pictet, une ex-amie de Genève, qui m’a donné de nouveaux détails sur la Schadau. Ce soir, Marsaux-Hofer. Demain, spectacle de danses hindoues. Mercredi, des littérateurs, jeudi idem, vendredi [p. 4] des amies, samedi au bal, dimanche des thés, lundi conférence Keyserlinga. J’en passe. Et j’en refuse des tas.

 

Soir

Je termine en hâte, suis déjà tard pour mon train, vais dîner chez les Pury avec Hofer.

Guérissez-vous, et moi zavec ! Il fait un froid affreux dans ce bureau, je fuis !

Titine pourrait bien m’écrire !

D.