[p. 1]

1930-12-18, Denis de Rougemont à Alice de Rougemont

Chère Mère,

Merci de ta carte. Une nappe de couleur pour remplacer celle — magnifique — que me prête ma femme de ménage sera la très bienvenue. Ma table est ronde, environ 1 mètre 20 de diamètre. Bleue ou jaune ou rougeâtre, — tout va bien avec le bleu uni du papier de ma salle à manger.

J’espère toujours pouvoir dételer trois ou quatre jours au Nouvel An.

Cette semaine, Maury étant ici, j’ai dû lâcher toutes mes affaires personnelles. On m’a demandé un plan d’organisation technique des éditions-librairie dont je serai nommé directeur et j’ai passé presqu’une nuit à le mettre sur pied au lieu d’aller à un thé. Ce plan qui sera d’ailleurs présenté comme étant de Maury (au Conseil) [p. 2] a été jugé « un chef-d’œuvre » par le Comité directeur — ce qui me laisse quelques craintes sur ses capacités en la matière ! Mes actions sont au plus haut dans la maison, et je suis en passe de devenir un petit « personnage ». On prétend que je suis « un requin » en affaires, c’est assez comique. Mais je ne tiendrai pas longtemps à ce rythme (plusieurs soirées passées à turbiner jusqu’à 1 ou 2 heures du matin). Dîné chez de Traz et déjeuné avec le Comité de rédaction de Foi et Vie qui devient une revue mensuelle double de l’ancienne. — Je vis toutes les angoisses financières de « Je sers » — en passe d’être surmontées — et c’est très tendant.

Je passerai la soirée de Noël chez les de Traz, c’est bien gentil à eux de me recueillir à cette occasion. On m’invite aussi à chasser dans le Poitou chez une comtesse de Ferré, mais je n’ai rien de ce qu’il faudrait, et une journée entière à cheval m’ôterait l’usage de mes jambes pour tout l’hiver je le crains. — Il fait un bon petit froid sec et sain. Trouverai-je de la neige à Areuse ? Ne vous laissez pas trop geler je vous en supplie.

Je t’embrasse.
Top.