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1941-06-01, Alice de Rougemont à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

Voilà qui est fait. Nicolas a été représenté pour la 1re fois hier soir. Salle comble, colonels, général, M. Etter. Cela a certes été un succès, et une réussite pour Kiehl et les acteurs (ta lettre lui a fait extrêmement plaisir), un tour de force comme éclairage, mise en scène, etc. Scène construite d’après celle de Zurich, quoique plus petite, tour de force, en effet de faire évoluer sur ces 3 plans, acteurs et chanteurs.

Le seul reproche qu’on puisse faire, c’est que l’action était un peu lente, et la musique et les chanteurs, trop importants par rapport aux acteurs et à la pièce proprement dite. L’acteur Bercher, de Genève très bien et d’un physique excellent, le récitant Bertchi parfait, Tuety dans le rôle de Nicolas jeune, excellent aussi, Dorothée, très à la hauteur. Te le dirai-je, j’ai été plus émue de l’oratorio, paroles et musique, à Soleure, que de cette grande mise en scène, où l’intérêt s’éparpille un peu. Tu verras bien d’autres articles, mais je voulais te dire ma première impression. Et puis un sujet aussi religieux n’est pas compris par tous, c’est impossible.

En attendant, Tante Agnès Wavre te fait dire spécialement que la parenté est fière de toi, et combien, combien d’autres nous ont dit leur regret de ne pas t’avoir, et leur admiration.

Tu nous a procurés, indirectement l’honneur de siéger au souper des autorités du comptoir neuchâtelois ; moi, entre Etter (charmant) et le colonel Borel, Toinette [p. 2] à côté du conseiller Lachenal de Genève et face… au général. Mase s’est donné un mal fou, comme président du comité de réception. Claude DuPasquier, devant quelque 150 dîneurs a fait un excellent résumé de Nicolas. Les Gérard Bauer sont conquis, et Charly Clerc, très admiratif, malgré quelques réserves. Les places sont prises au-delà de toute attente. Il y avait queue chez Foetisch. Toinette s’est donné une peine énorme pour achever les costumes. Grâce au ciel, le beau temps est venu, juste pour cette soirée, car le bruit de la pluie sur la toile de la halle, eût été déplorable. Enfin, quel bonheur que la représentation soit un fait accompli, maintenant les 4 ou 5 représentations suivantes vont se succéder de mieux en mieux je suis sûre. Manon écrit à sa mère son enthousiasme pour l’Oratorio, musique et paroles.

Tout ceci nous a fait oublier pour un moment la guerre. À ajouter encore que les jeunes qui jouent sont enthousiasmés, et que les chœurs de Ch. Faller sont splendides.

Papa a envie de retourner demain après-midi et te dire son impression définitive… Je me décide à l’accompagner.

Comment allez-vous les uns et les autres ? La vie matérielle devient-elle aussi plus difficile ? Je comprends que tu aies hâte de voir des résultats tangibles de ta pièce. En attendant ton mandat là-bas te procure-t-il encore des fonds, ou bien dois-tu te tirer d’affaire, uniquement par ta plume ? Dis-le-nous.

Puisse cette lettre t’arriver aussi vite que possible, et recevez en famille nos baisers, et toutes les félicitations de tes amis, entendues hier soir.
Votre mère bien aff.
A. de R.