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1933-06-29, Denis de Rougemont à Alice de Rougemont

Chère Mère,

Merci de ta lettre que j’ai reçue dans une bousculade de travail qui m’a empêché d’y répondre tout de suite. J’ai été navré de la nouvelle de la mort de Souzy, apprise d’abord par un téléphone de Pierrette. Quelle catastrophe dans une famille aussi liée que celle des DuPasquier. J’écris à Emer. — Nous allons ce soir dîner chez les Oncle Edmond.

Et maintenant, merci pour tout ce que tu nous annonces de biens et richesses, tout cela sera fort bienvenu. Ci-joint la mesure du doigt de Simonne, qui est toute contente et bien touchée de ce superbe cadeau en perspective.

Le facteur a passé ce matin en mon absence pour me délivrer un mandat de Suisse, mais il n’a trouvé que Jean-Jacques Bovet. Il reviendra. (J’espère.)

Pour les meubles, je crois t’avoir dit que nous n’en manquerons pas (quelques petites choses tout de même feraient bien.) Simonne a un très large divan, du même format que celui que j’utilise ici mais qui est à des amis de Daniel : mes draps y vont tout juste. Pour nos anneaux, sera-t-il temps de les faire faire en Suisse, en trois jours ou quatre ?

Faut-il faire imprimer ici quelques faire-part annonçant le mariage ? Mais alors il faudrait fixer la date. Je voulais le 21 environ. Mais Roland ne [p. 2] pourrait que le 25, et peut-être que je serai retenu ici deux ou trois jours de plus que je ne pensais. Et enfin, il faut mettre au point des questions de papier : pourriez-vous demander à Boudry de quoi nous avons besoin pour le mariage civil, — Simonne étant française — et dans quels délais les bans doivent être publiés. Car il faut que Simonne fasse venir ses papiers de Vendôme, où elle est née. — J’hésite vraiment pour la date : comme je dois faire une conférence à Genève le 1er août, si nous nous y marions le 25, il n’y aura guère que cinq-six jours pour aller se balader à Orta ou dans les Alpes. C’est bien court. Ensuite, du 3 au 9, je suis invité avec Simonne à une rencontre d’étudiants, internationale, à la Châtaigneraie, avec les dirigeants de la Fédération. Nous projetons aussi un voyage en auto avec les Roland si Madame mère prête l’Hispano. Nous irions à Raguse. Il y a aussi Pontigny, mais à deux, ce serait trop cher pour cette année, et un peu fatiguant.

J’ai essayé de persuader Madame Vion de venir à Genève. Mais elle dit que sa situation matérielle ne le lui permet pas. Son gendre lui a bien vaguement offert de lui payer le billet, mais alors elle dit que la robe qu’elle devrait se faire pour cette seule occasion serait encore trop chère. Il y a aussi la fatigue que lui causerait un voyage de l’île de Ré, où elle sera dès demain, jusqu’à Genève. Je crains bien qu’il n’y ait personne de la famille de Simonne, ce qui est dommage, sinon pour elle-même (elle redoute peut-être un peu le mélange) mais pour nous.

Un détail vestimentaire : je me marierai sans doute en jaquette. Pourrais-tu la donner à un tailleur pour la border d’un galon ? Sinon, j’aurais l’air d’un professeur allemand, étant donnée la mode, depuis la guerre. Les pantalons, portés par Papa, sont-ils encore mettables ?

Je viens de faire la table de mes écrits de cet hiver : 25 articles, parus dans 12 revues différentes, et 4 conférences. J’ai gagné mes vacances, et m’en réjouis chaque jour plus. Simonne vous envoie ses messages, elle a l’air tout heureuse et épanouie. Moi aussi, je crois.

Je vous embrasse.
Denis.