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1928-01-25, Denis de Rougemont à Alice de Rougemont

Chère Mère,

Merci de ta carte et des 200 fr. de papa qui suffiront à mes besoins je l’espère jusqu’au 1er février. Remarque que je fais des économies, j’aurai vécu en décembre et janvier avec 400 + 200 ce qui fait 300 par mois, voyage à Budapest compris, et divers achats vestimentaires en sus (chemises, souliers, cravates, etc.). J’espère arriver à réduire encore, en écrivant. (Cela commence à marcher un peu mieux sous ce rapport.)

Mon angine a été étouffée victorieusement à force de Formitrol, d’aspirine, de thé bouillant et de [p. 2] chauffage central. D’ailleurs il ne fait plus trop froid, et il n’y a pas à craindre de fièvre typhoïde comme à Neuchâtel. Est-ce que M. Weibel en est mort ? En avez-vous très peur ? L’eau de Vienne est heureusement excellente, venant tout droit des montagnes.

Je travaille et me cloître un peu ces temps-ci. Presque plus de sortie, ciné excepté (cela m’excite beaucoup au travail). Concerts magnifiques. Plus de patins, les Lukács étant l’un malade l’autre à Prague. Beaucoup de grammaire allemande, on en revient là au bout de quelque temps (j’en ai acheté une, la 10e dans ma vie au moins).

J’espère que Toinette va répondre à mes lettres pleines de choses importantes pour elle comme pour moi. Je reçois indirectement par Rosset ou [Denys Perrot] des nouvelles du voyage de Tuty à Paris. Pierre a fini par en revenir, enchanté, mais on ne le voit presque pas ces jours, pour des raisons mystérieuses. Pas de nouveau membre à l’horizon du Centre français ; cela me fait encore tout février de tranquille, au · [point] de vue logement. Naturellement que j’ai logé au Collège Eötvös, à Budapest ! Gyergyai y loge toute l’année comme les autres professeurs. Il est célibataire, mais tout le monde veut le marier et je crois bien que cela finira par arriver non pour sa fortune qui est nulle, mais pour son charme qui est réel et sa réputation qui est de la meilleure qualité. Comme tu le vois, pas de nouvelles sensationnelles. On fait des connaissances, comme toujours, on revoit un peu les anciennes, histoire de ne pas trop perdre contact. Coudenhove est à Paris. J’attends ma paie de son bureau. Le prince [Posidowski] est de plus en plus curieux.

Au revoir chère mère ne crains rien pour ma santé, je fais des vœux pour la tienne et t’embrasse bien fort.