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1941-12-04, Alice et Georges de Rougemont à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

Désespérant de voir arriver chez vous, les photos envoyées comme imprimées, je me décide à vous les expédier par avion, en vous faisant mes vœux de Noël ! Il n’est pas trop tôt pour vous les dire. Puissiez-vous, vous être trouvés et passer ensemble d’heureuses fêtes, encore en paix — Que Dieu nous garde où que nous soyons et quoi qu’il arrive.

Ici, nous sommes encore dans une oasis bien tranquille. L’on est cependant sous le coup des élections, qui grâce au « ralliement neuchâtelois », mené par Léo DuPasquier, ont bouleversé la situation. Papa va t’expliquer tout cela mieux que moi. Léo est grand admirateur de tes livres. Je suis curieuse de savoir ce que tu penseras de ses agissements. — Nous avons eu la visite de [Meity] de Perrot, qui nous a lu une lettre de sa sœur Blanche, donnant de bonnes nouvelles de Simonne et des enfants. La pauvre Tante Béatrice s’est cassé le col du fémur, la voilà immobilisée pour longtemps.

Je vais encore écrire un mot à Nicolas, et vous dis mes très tendres messages.
Maman

 

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Mon cher Denis,

Maman me suggère de te narrer les récents événements politiques dans ce canton. Il s’agissait de la réélection du Conseil d’État, composé de Béguin et Guinchard (radicaux), Renaud (p. p. n.), Humbert et Borel (libéraux). Pour remplacer Guinchard qui se retirait, la coalition des partis nationaux avait présenté Barrelet, radical et professeur d’agronomie. Les socialistes proposaient un conseiller communal de La Chaux-de-Fonds, Brandt ; et le nouveau parti dit du « Ralliement » portait en liste Léo DuPasquier et Ducommun (de Berne). Au 1er tour de scrutin, Humbert, Renaud et Barrelet furent seuls élus ; Béguin et Borel étaient en ballotage avec tout de même une forte avance sur les candidats socialiste et Ralliement. Au deuxième tour du scrutin, coup de théâtre : Ducommun s’était désisté, en faveur de Léo DuPasquier et de Brandt, ces deux candidats furent élus par 1000 voix de plus que les deux conseillers d’État en charge : Béguin et Borel. C’est une révolution. L’événement est commenté dans la presse suisse. Les partis nationaux méritaient une [élection], mais elle leur est donnée dans d’étranges conditions. Nous n’osons pas nous plaindre de votre éloignement ; le nombre de familles disloquées est grand ; tout de même, ce sera mélancolique de célébrer, pour la seconde fois, la fête de Noël, sans vous et sans Nicolas et Martine. [Illisible] soient heureux pour vous. J’aime à croire que vous avez trouvé l’asile temporaire à votre convenance.

Je vous embrasse tous.
Papa et grand-papa