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1938-12-21, Georges de Rougemont à Denis de Rougemont

Mes chers Denis et Simonne,

L’an dernier vous étiez ici, et nous avions la joie de passer ensemble les fêtes de Noël. Cette année, nous ne pouvons que penser les uns aux autres, prier les uns pour les autres. Je pense que vous allumerez un sapin pour Nicolas, et je donnerais beaucoup pour le voir, frétillant devant les bougies allumées. Ici nous rentrerons tranquillement à la maison dimanche, et prendrons le thé le lendemain chez les Max.

Nous n’irons pas à Saint-Gall ; Anne-Marie ne tient pas à voir personne de sa famille ; je la comprends. Elle est encore trop constamment inquiète pour [p. 2] souhaiter de nouveaux contacts, même avec ceux qui, toute proportion gardée, souffrent autant qu’elle. D’ailleurs l’installation de ces dames n’est pas le comble du confort ; l’hôtel, d’autre part, est cher. Et puis surtout, Pierre est trop faible pour recevoir des visites. Ces semaines d’attente anxieuse sont longues ; elles mettent à l’épreuve la force de résistance qu’on pense avoir. C’est extraordinaire que cette chère petite Anne-Marie puisse tenir le coup. Dans leur détresse, Pierre [Illisible] Dieu, et maintenant [la grâce les porte]. Véritablement, le seul chemin du dépouillement conduit à Dieu.

Le succès de ton Journal d’Allemagne est grand, tant mieux pour toi et pour Gallimard. Ta contribution aux Cahiers protestants est remarquée, et je suis bien content que tu aies donné satisfaction à Ch. Béguin et à son comité de rédaction. Je n’ai pas réussi à mettre la main sur les articles que tu disais devoir paraître dans Le Figaroa et dans Candideb.

Je te félicite d’avoir la satisfaction de pouvoir terminer ta pièce pour la date que tu t’étais assignée. Évidemment, ta pièce enfin composée, vous ne serez pas, Honegger et toi, au bout de votre effort !

Je me représente que vous souffrez du froid dans votre belle villa ; mais j’espère que vous n’y prenez pas froid.

Je vous souhaite, au milieu de votre labeur, la paix de Noël, qui est celle du cœur, et qui surpasse toute intelligence.
À tous les trois, affectueux baisers de votre père et grand-père.