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1933-06-19, Denis de Rougemont à Alice et Georges de Rougemont

Chers parents,

Pardonnez ce papier, je n’en ai plus d’autres et il est tard. J’interromps pour vous écrire un travail que je n’arrive pas à mener à chef, le numéro double de H. & N. sur Barth, auquel je travaille depuis 15 jours. J’ai dû faire entretemps deux autres articles, et suis fatigué. Roland vient de passer quatre jours ici, pour soutenir sa thèse, brillamment. Nous sommes allés au théâtre avec Simonne, lui, sa mère et Madame J. L. Berthoud.

J’ai été dîner chez la mère de Simonne ; charmant petit dîner. Le jeune frère est très gentil, sérieux et ouvert. Hier, nous avons été goûter chez la sœur mariée à un professeur de Louis-le-Grand, qui fait de la politique radicale, et défend les mêmes idées bourgeoises d’ordre, de devoir avec D, etc. Des gens très gentils, assez cordiaux, un peu distants toutefois, par manque de curiosité je crois. Je ne sais pas trop qui viendra à Genève pour représenter la famille Vion. Je souhaiterais que ce soit Madame, mais la question pécuniaire la restreint. Elle n’a pour vivre qu’une petite retraite de veuve de fonctionnaire, et avec cela elle doit payer les études de son fils. Je ne sais trop comment arranger la chose, car elle refuserait une « invitation ». Peut-être que son gendre Delacroix, le professeur, l’aidera un peu.

Quant à la question de maman concernant ce que possède Simonne, il est bien simple d’y répondre. À peu près rien, c’est-à-dire un peu de literie, un minimum de meuble, une robe et demie, trois souliers, et un cœur d’or. [p. 2] Je suis de plus en plus complètement heureux de penser qu’elle va devenir ma femme et que c’est un vrai miracle de l’avoir rencontrée. Pour revenir à la question matérielle, voici de quoi nous manquons : de linge de table (nappe, serviettes. Nous avons des napperons pour le thé, et des petites serviettes, cadeau de Madame de Pury) ; de torchons de cuisine ; d’une paire de draps, et de taies d’oreiller ; enfin et surtout de quelque argent pour renouveler nos garde-robes respectives. Simonne a reçu quelques centaines de francs de sa mère à cet usage. J’avoue que pour moi, ce ne serait pas de trop. Enfin, il faut penser à la robe de mariage ; je vais demander des adresses de couturières à des amies.

Pour le mariage lui-même, Maury nous a demandé l’autre jour si nous ne préférerions pas qu’il ait lieu à Saint-Pierre, dans la chapelle des Macchabées. Le passage de la douane en auto entraînerait en effet pas mal de complications. (Il faut un triptyque, même pour deux-cents mètres en territoire français.) D’autre part, Maury a l’air de tenir, sentimentalement, à Ferney. Qu’en pensez-vous ? On pourrait faire ensuite un déjeuner avec la famille, le pasteur et quelques amis tels que les Domino, les Chenevière, les de Traz (qui s’est quasi invité), Daniel, Roland, Pierre Jeanneret. J’espère que Tante Beth, les Max et sans doute les Oncle Charles y viendraient aussi.

Je viens de finir les caramels, excellents, mille mercis, et autant à Anne-Marie pour sa bonne lettre. J’espérais toujours un peu qu’elle allait venir, mais je comprends les empêchements. Il fait d’ailleurs bien vilain et froid. J’ai fait du feu cet après-midi ! Quelle joie que nous passions encore l’été dans la grande maison.

À bientôt donc, je vous embrasse.
D.