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1940-10-06, Alice et Georges de Rougemont à Denis de Rougemont

Mon cher Denis,

Nous avons été très heureux de recevoir ta lettre, pleine de bonnes et intéressantes nouvelles. Tu comprends avec quelle impatience nous l’attendions. Elle nous est arrivée vendredi 4 octobre. J’espère que tu auras reçu celles de Papa et de Klossowski. À ce propos on m’a dit hier à la poste de Neuchâtel qu’il ne faut pas mettre des lettres de différentes personnes dans la même enveloppe. — Nous te renverrons donc celles qui paraissent n’être pas trop pressantes, en mettant ton adresse, sans les ouvrir ! Ou bien nous te donnerons le résumé de ce qu’elles renferment. Ainsi votre beau-père M. Frey avait envie d’avoir par vous des nouvelles de sa famille. Papa lui a répondu en lui disant ce qu’il savait de vous. Gyergyai t’a écrit pour te demander de t’occuper de faciliter la rentrée à Budapest de la fille d’une dame Gachot, qui est restée à Nice.

[p. 2] Papa a écrit la demande à Chenevière à la Croix-Rouge. On a répondu qu’on s’en occupait. Il dit qu’il vivote (Gyergyai) et demande de vos nouvelles.

Pourvu que Colino soit remis des suites de sa vaccination, et que vous tous supportiez ce climat. On nous dit que ces collèges de Princeton et les parcs sont splendides, et quelle sécurité de vous savoir chez des amis. C’est gentil à Willy Perrot d’être venu te trouver. Je me dispense donc de te donner son adresse, remise à moi par sa belle-mère, Mme de Müller. Tu es donc déjà bien entouré et connu là-bas, et il ne te reste plus qu’à apprendre l’anglais. — Toinette a été 3 semaines sans ouvrir la bouche, lors de son séjour en Angleterre, ensuite elle s’est lancée.

Bonne affaire que Nicolas voie enfin le jour, au moins sous forme d’oratorio. J’espère que tu vas arriver à travailler tranquillement, malgré tant de va-et-vient et de personnes à voir, et avec la difficulté de la langue.

Il faudra aussi que Simonne nous dise comment elle organise sa vie avec les enfants. Nourrit-elle encore la petite, et s’est-elle remise complètement de sa dysenterie ? Nous vous suivons de tout cœur et de toute manière. Grâce à Dieu, vous avez été bien gardés et conduits jusqu’à présent.

Papa a été à Travers, entendre Barth qui a fait un séminaire d’une journée aux pasteurs venus l’entendre, de la région. Papa se trouvait être le doyen, il a été très intéressé, tout en se posant certaines questions sur ce qu’il a entendu.

Papa a aussi baptisé Gilles, il y a 8 jours, en présence de la famille Petitpierre au grand complet, et de la nôtre, réduite au nombre de 2, c’est-à-dire des grands-parents. Gilles a eu sa 1re dent, ceci pour Simonne.

Bons articles sur la Ligue du Gothard dans l’O. N. neuchâtelois, et même dans la Feuille d’Avis, après une rencontre dirigée par Spoerri à Macolin.

Je me prépare à lire ta brochure que j’ai empruntée à Papa.

Ta lettre de Lisbonne est très bien arrivée, et j’aime à croire que les nôtres aussi vous seront parvenues.

Sur ce, je vous quitte pour ce soir, en vous embrassant tendrement tous les quatre.
Votre mère bien aff.
A de R.
[p. 3] Mon cher Denis,

Il n’est plus possible d’ouvrir un journal sans y trouver une citation de toi, d’assister à une conférence sans que l’orateur ne te cite. Dimanche dernier, l’association chrétienne suisse d’étudiants a eu sa rencontre d’automne à Colombier ; Deluz y a donné une étude en te citant abondamment ; lundi à Lausanne le président de l’assemblée des membres des comités de la mission de Paris, un pasteur de Genève, disait dans son discours inaugural, « comme le dit Denis de Rougemont… » Ton livre connaît un succès sans précédent : je me représente que la 2e édition ne tardera pas à être épuisée. Quant à moi je ne suis plus que « le père de Denis de Rougemont ». L’autre jour, à Travers, Barth ayant demandé à son voisin qui présidait le dîner, j’ai entendu répondre : « Le père de Denis de Rougemont. » Le nombre de dames qui me disent que tu les aides à tenir le coup est grand. Madame Micheli avant-hier, Madame Marcel DuPasquier hier. Je suis reconnaissant à Dieu du talent qu’il t’a confié ; mais je réalise ta responsabilité, à mesure que je me rends compte du nombre de personnes pour lesquelles tu es le guide. Que Dieu permette que tu restes à ses ordres !

Je vous embrasse, comme je vous aime.
Ton père aff.
G. de R.